L’année 2024 a marqué un tournant décisif pour le développement énergétique du continent africain. Selon les données de l’Association internationale de l’hydroélectricité (IHA), plus de 4,5 gigawatts (GW) de nouvelle capacité hydroélectrique ont été mis en service sur le continent au cours de l’année écoulée. Un chiffre impressionnant, plus du double de celui enregistré en 2023, qui témoigne d’une dynamique sans précédent en matière d’énergie propre en Afrique.
Historiquement, bien que dotée d’immenses ressources naturelles, l’Afrique n’exploitait qu’une faible partie de son potentiel hydroélectrique. En 2023, moins de 11 % des ressources techniquement disponibles étaient mises à profit, alors que le potentiel économique global dépasse les 350 GW. Mais la situation évolue rapidement grâce à la volonté politique, à l’augmentation des besoins en électricité, à l’arrivée de nouveaux investissements et à la coopération technologique avec des partenaires internationaux. En 2024, la part de l’hydroélectricité dans le mix énergétique africain a atteint des niveaux records, dépassant 50 % de la production d’électricité dans plusieurs pays.
Des projets majeurs ont vu le jour en Éthiopie, en Angola, en Zambie et en Côte d’Ivoire. En Éthiopie, la mise en service de la deuxième phase du gigantesque barrage de la Renaissance (barrage «Hidase») sur le Nil Bleu a permis d’ajouter plus de 2 GW au réseau national, plaçant le pays en tête des progrès en capacité hydroélectrique. En Angola, le troisième groupe du barrage de Lauca a été mis en service, portant la puissance installée à 2,07 GW, consolidant le rôle du pays en tant qu’exportateur énergétique majeur en Afrique australe. En Côte d’Ivoire, la centrale hydroélectrique «Green Bond», financée conjointement avec la Banque africaine de développement, a ajouté 280 mégawatts au réseau ivoirien.
L’Afrique de l’Est et l’Afrique centrale avancent également. L’Ouganda, exploitant les ressources du Nil, a lancé les barrages d’Isimba et de Karuma, ce dernier devant devenir le plus grand projet énergétique du pays. Le Cameroun, quant à lui, développe une série de barrages en cascade sur le fleuve Sangha, en partenariat avec des investisseurs chinois et européens, avec une capacité potentielle de 600 MW.
D’après les rapports conjoints de l’IHA et de l’Agence africaine de l’énergie, l’Éthiopie reste en tête du classement continental avec plus de 5,3 GW en service, suivie de l’Angola (3,6 GW), de l’Égypte (2,8 GW), de la République démocratique du Congo (2,7 GW), du Mozambique (2,2 GW) et du Soudan (1,5 GW). Ensemble, ces six pays représentent plus de 65 % de la production hydroélectrique du continent.
L’impact économique de cette transformation est immense. Dans une région où le taux moyen d’électrification au sud du Sahara reste autour de 47 %, l’hydroélectricité offre une source fiable, bon marché et propre, favorisant le développement industriel, agricole et numérique. Selon la CNUCED et la Banque africaine de développement, les solutions hydroélectriques permettent de réduire les coûts de production de 25 à 30 % dans plusieurs secteurs tout en diminuant la dépendance vis-à-vis des importations de carburant et des fluctuations des prix internationaux.
Sur le plan politique et juridique, le développement de l’hydroélectricité s’inscrit dans les politiques énergétiques continentales portées par l’Union africaine, la CEDEAO et la SADC. Les nouvelles feuilles de route prévoient des mécanismes de gestion conjointe des ressources transfrontalières et des interconnexions électriques entre États. L’initiative «Marché unique africain de l’électricité» vise à relier les pôles hydroélectriques aux réseaux régionaux d’Afrique orientale, centrale et australe.
Malgré ces avancées notables, à peine 20 % du potentiel hydroélectrique africain est exploité à ce jour. Le chemin à parcourir reste donc long. Mais les succès enregistrés en 2024 prouvent qu’un avenir énergétique durable en Afrique n’est plus une utopie: il repose désormais sur des politiques cohérentes, une coordination régionale et une foi renouvelée en nos capacités.
Car c’est bien cela l’enjeu: dans un contexte géoéconomique mondial en mutation rapide, l’Afrique, longtemps marginalisée dans les débats énergétiques mondiaux, est en passe de devenir un acteur de premier plan dans le domaine des énergies à faible émission de carbone. L’hydroélectricité, en tant que socle de cette transition, pourrait bien devenir le pilier d’une Afrique indépendante sur le plan énergétique au XXIe siècle.