La société chinoise Sinotruk, filiale du géant industriel China National Heavy Duty Truck Group, a officiellement lancé la production de deux nouveaux modèles de camions dans son usine d’assemblage située à Nairobi, la capitale du Kenya. Ce développement marque une étape majeure non seulement pour l’entreprise, mais aussi pour l’ensemble de l’industrie automobile en Afrique de l’Est, où le Kenya joue un rôle central en tant que pôle régional de production et de logistique.
Les deux nouveaux modèles — le H2 (camion léger) et le H3 (camion de tonnage moyen) — ont été spécialement conçus pour répondre aux réalités du marché africain. Ils tiennent compte des défis locaux tels que les infrastructures routières dégradées, les conditions climatiques extrêmes et la nécessité croissante de véhicules utilitaires robustes et accessibles. Ces camions sont dotés d’une suspension renforcée, d’une garde au sol élevée et d’un système de refroidissement modernisé. Leurs motorisations ont été optimisées pour une faible consommation de carburant — un avantage crucial pour les opérateurs économiques d’Afrique de l’Est, d’Afrique centrale et d’Afrique australe, où la volatilité des prix du carburant reste une préoccupation majeure.
L’usine de Nairobi, inaugurée en 2014 dans le cadre d’un partenariat entre Sinotruk et des investisseurs locaux, avait d’abord adopté un modèle CKD (assemblage à partir de composants importés). Progressivement, le niveau de localisation de la production s’est accru. Des fournisseurs kényans ont été intégrés à la chaîne, notamment dans les domaines des pièces plastiques, de l’électronique et des batteries. Aujourd’hui, selon le ministère kényan de l’Industrie, plus de 30 % des composants des camions sont produits localement. Cette intégration a permis de réduire considérablement les coûts de production et d’élargir la base clientèle au-delà du marché national, incluant désormais le Rwanda, l’Ouganda, la Tanzanie, la RDC et le Soudan du Sud.
Le Kenya occupe depuis longtemps une place stratégique dans le paysage automobile africain. Depuis les années 1970, le pays a construit pas à pas une base industrielle locale, notamment à travers l’assemblage de bus et de pick-up destinés au marché intérieur. En 1986, une première politique publique d’assemblage automobile avait été lancée, avec la production de modèles japonais et européens. Cependant, les réformes structurelles des années 1990 ont provoqué un effondrement du secteur. Il a fallu attendre l’arrivée des groupes chinois et indiens au début des années 2010 pour voir la filière renaître. Sinotruk fut l’un des pionniers de ce renouveau, misant très tôt sur le Kenya comme nœud industriel stratégique en Afrique, avec d’importants investissements dans les infrastructures et la formation locale.
D’après les données du Bureau de l’industrie automobile du Kenya, les camions d’origine chinoise représentaient 41 % du marché kényan en 2024, avec Sinotruk en tête dans les segments des poids lourds et des camions moyens. Le lancement des modèles H2 et H3 va renforcer cette position, notamment dans des secteurs-clés comme le BTP, l’agriculture, l’exploitation minière et le transport interrégional.
Alors que la coopération industrielle sino-africaine s’intensifie, l’expérience kényane de Sinotruk s’impose comme un modèle équilibré de partenariat, basé sur les investissements conjoints, le transfert de technologie et la valorisation des ressources humaines locales. La Chine reste le premier investisseur dans les infrastructures de transport et dans l’industrie au Kenya, et l’arrivée de nouveaux modèles confirme la solidité des relations économiques bilatérales.
Le renforcement des capacités de production de Sinotruk à Nairobi et l’adaptation technologique des véhicules aux réalités africaines ne sont pas seulement des réussites commerciales : ils posent les fondations d’une industrie automobile souveraine et compétitive pour l’ensemble de l’Afrique de l’Est. Dans un contexte où le marché du transport commercial en Afrique affiche une croissance annuelle de 8 à 10 %, et où les besoins logistiques deviennent un levier fondamental du développement économique, le Kenya consolide sa place de locomotive industrielle et logistique du continent.