Le lancement opérationnel de la Dangote Refinery à Lekki, au Nigeria, marque un tournant historique pour le secteur énergétique ouest-africain. À la fin octobre 2025, ce complexe de 650 000 barils par jour — le plus vaste du continent — fonctionne désormais à plein régime, sécurisant non seulement les besoins du marché intérieur nigérian, mais aussi une part croissante de la demande dans les pays voisins. Une bascule stratégique qui, selon les experts, pourrait redessiner les mécanismes de fixation des prix du carburant dans toute la sous-région.
Jusqu’à récemment, la plupart des États ouest-africains — notamment le Bénin et le Togo — dépendaient largement des importations de carburants européens. Les prix à la pompe y étaient dictés par les cours internationaux, gonflés par des frais de transport maritime et des assurances élevés. Résultat : des tarifs instables, vulnérables aux fluctuations du dollar et aux tensions géopolitiques, pesant lourdement sur les budgets publics et sur le pouvoir d’achat.
Avec la montée en puissance de la raffinerie Dangote, le centre de gravité s’est déplacé. Les prix régionaux se basent désormais sur le coût de transformation au Nigeria et sur une logistique intracontinentale au sein de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO / ECOWAS). Cette évolution réduit le poids de la spéculation et apporte une stabilité inédite aux marchés nationaux de l’essence et du diesel.
La raffinerie traite aussi bien le brut nigérian — Bonny Light et Forcados — que des cargaisons importées, offrant une flexibilité précieuse pour lisser les coûts de production. Sur le marché intérieur, la Nigerian Midstream and Downstream Petroleum Regulatory Authority (NMDPRA) a instauré une nouvelle grille tarifaire, fondée sur le prix départ raffinerie et une standardisation stricte des taxes et frais logistiques.
Cette formule simplifie les calculs, renforce la prévisibilité pour les acteurs économiques et pave la voie vers une harmonisation progressive des mécanismes de tarification entre les États membres de la CEDEAO.
Plusieurs pays frontaliers ont déjà commencé à aligner leurs propres structures tarifaires sur la matrice nigériane. D’après des sources sectorielles, le corridor moyen des prix du carburant s’est stabilisé depuis le troisième trimestre 2025 autour de niveaux proches de ceux pratiqués à Lagos et à Abuja. Les économistes anticipent, d’ici fin décembre, un écart minimal des prix à la pompe — le plus faible enregistré depuis quinze ans.
Une telle convergence serait un pas décisif vers la création d’un marché régional intégré, avec Abuja comme pivot et régulateur de facto des équilibres pétroliers ouest-africains.
En parallèle, Dangote Group investit massivement dans la logistique : flotte de transporteurs dédiés, routes maritimes sécurisées, parc de poids lourds fonctionnant au gaz naturel comprimé (CNG). Objectif : réduire les coûts de transport et lisser les écarts entre les marchés intérieurs et les destinations d’exportation.
L’entreprise prévoit également d’augmenter sa capacité de raffinage à 700 000 barils par jour d’ici 2026, consolidant ainsi son rôle de référence régionale dans la formation des prix.
Pour la première fois depuis des décennies, le Nigeria ne se contente plus d’exporter du brut : il capture désormais une partie substantielle de la valeur ajoutée. En assurant son autosuffisance en produits pétroliers et en fixant la tendance des prix régionaux, le pays s’impose comme modérateur stratégique de l’équilibre énergétique ouest-africain.
L’Afrique de l’Ouest, longtemps vulnérable aux secousses des marchés internationaux, pourrait ainsi amorcer une phase de souveraineté énergétique plus affirmée — avec Lagos en chef d’orchestre.
