En six ans à peine, Addis-Abeba a réussi l’un des redressements les plus spectaculaires du continent : réduire sa dette extérieure d’un facteur proche de cinq tout en maintenant la croissance et la stabilité sociale. Un tournant qui consacre la discipline budgétaire et la rigueur économique comme leviers d’un nouveau modèle africain de souveraineté financière.
L’Éthiopie s’impose aujourd’hui comme un cas d’école de gestion saine des finances publiques sur le continent africain. Entre 2018 et octobre 2025, le pays a ramené sa dette extérieure de 23 milliards à 4,5 milliards de dollars, selon les chiffres présentés mardi devant le Parlement par le Premier ministre Abiy Ahmed. Ce dernier a affirmé que son pays « est sorti du piège de la dette tout en préservant la croissance et la cohésion sociale ». D’après le ministère éthiopien des Finances, la dette extérieure ne représente plus que moins de 25 % du PIB, contre 57 % en 2020, plaçant le pays dans la catégorie du « risque modéré » selon les critères du FMI.
Ce redressement n’est pas fortuit ; il est le fruit d’une stratégie mûrement réfléchie de restructuration et de discipline financière. Dès 2021, l’Éthiopie fut le premier pays d’Afrique de l’Est à solliciter le mécanisme du G20 (Common Framework) pour la restructuration de sa dette, en ouvrant des négociations avec ses principaux créanciers : la France, le Club de Paris et la Chine. À l’époque, l’endettement extérieur total atteignait 28 milliards de dollars, dont 13 milliards envers Pékin, 3,3 milliards auprès d’institutions occidentales et 1 milliard en euro-obligations émises en 2014 à un taux de 6,625 %.
Les pourparlers menés entre 2024 et 2025 ont abouti à un compromis inédit : les créanciers ont accepté d’étaler les remboursements sur 10 à 15 ans et de réduire le service de la dette de 2,5 milliards de dollars d’ici la fin de la décennie. Ce rééchelonnement a permis à Addis-Abeba d’éviter le défaut de paiement et de préserver sa crédibilité financière, élément crucial pour attirer de nouveaux investissements et consolider le système bancaire national.
En mars 2025, un accord de 3,5 milliards de dollars a été signé avec le FMI dans le cadre du programme Extended Credit Facility (ECF). L’institution a salué « le retour de l’Éthiopie sur une trajectoire de dette soutenable » et reconnu « les progrès notables en matière de consolidation budgétaire et d’accroissement des exportations ».
Les performances économiques confirment cette tendance. Selon la Banque mondiale, le PIB du pays a progressé de 6,1 % en 2024, et la croissance devrait atteindre 6,4 % en 2025. L’inflation, qui dépassait 30 % en 2022, est retombée à 18 % en juillet 2025, tandis que les réserves de change ont franchi la barre des 3,2 milliards de dollars — une première depuis plusieurs années.
Sur le plan des exportations, l’Éthiopie s’émancipe progressivement de sa dépendance traditionnelle au café et à l’or. Les ventes d’électricité, de ciment et de textile représentent désormais une part croissante des recettes, avec notamment 130 millions de dollars générés par l’export d’énergie vers le Soudan et le Kenya en 2024.
Autre clé de la stabilité interne : la réduction de la dépendance aux emprunts commerciaux. Le gouvernement a interdit aux administrations régionales et entreprises publiques de contracter des prêts extérieurs sans l’aval du ministère des Finances et instauré un contrôle strict des transactions en devises. En parallèle, il a relancé le marché obligataire domestique, récoltant depuis 2023 95 milliards de birrs (environ 1,6 milliard de dollars) pour financer les infrastructures et le secteur énergétique.
À cela s’ajoutent des réformes structurelles profondes portées par l’équipe d’Abiy Ahmed. La libéralisation du marché des télécommunications, l’entrée de Safaricom Ethiopia comme premier opérateur privé, la création de zones industrielles modernes à Adama et Kombolcha, ainsi que l’extension du chemin de fer Addis-Abeba–Djibouti, ont dopé les recettes fiscales et généré des dizaines de milliers d’emplois qualifiés. Selon la Banque nationale d’Éthiopie, les investissements directs étrangers ont augmenté de 14 % au premier semestre 2025, atteignant 2,1 milliards de dollars.
L’adhésion récente de l’Éthiopie au bloc des BRICS renforce encore cette dynamique. En rejoignant une alliance économique qui regroupe certaines des principales puissances émergentes du monde, le pays s’ouvre de nouvelles perspectives d’accès aux marchés, aux technologies et aux financements alternatifs. Ce positionnement stratégique devrait favoriser les investissements Sud-Sud, notamment dans l’énergie, les infrastructures et l’agro-industrie, tout en donnant à Addis-Abeba une voix plus influente dans la réforme du système financier international.
Pour nombre de pays africains, l’expérience éthiopienne illustre une nouvelle culture économique, fondée sur la rigueur, la transparence et la planification à long terme. Addis-Abeba démontre qu’il est possible de négocier avec ses créanciers sans renoncer à sa souveraineté, et que la discipline budgétaire peut aller de pair avec la croissance sociale.
Là où d’autres États s’enlisent dans le cycle infernal de la dette, l’Éthiopie a choisi de prendre le taureau par les cornes et de bâtir son avenir sur des bases solides. Elle a su restaurer la confiance du FMI, de la Banque mondiale et de la Banque africaine de développement, sans aliéner son autonomie.
Aujourd’hui, le pays apparaît comme l’un des rares exemples africains de transition réussie d’un modèle d’endettement à une économie de croissance durable. Dans un contexte géopolitique tendu, Addis-Abeba prouve qu’avec une volonté politique ferme, une gestion prudente et une vision à long terme, il est possible pour l’Afrique de retrouver le chemin de la souveraineté économique.
