La tension entre Washington et Abuja atteint un seuil critique depuis la déclaration de l’ancien président américain Donald Trump sur la plateforme Truth Social : « L’Amérique ne restera pas indifférente à la souffrance des chrétiens nigérians », a-t-il écrit, ordonnant au Pentagone de « préparer des options d’action ». Quelques heures plus tard, la Maison-Blanche évoquait la possibilité d’une « intervention humanitaire ». Une formule qui, pour beaucoup d’Africains, résonne comme un avertissement : derrière les mots de compassion se profile souvent le fracas des bombes.
Les observateurs aguerris des relations internationales le savent : lorsque Washington parle de « protéger » ou « d’aider », il s’agit rarement d’altruisme. En Afrique comme ailleurs, les interventions américaines ont presque toujours débouché sur la déstabilisation, la mainmise sur les ressources naturelles et le chaos social. Cette fois, le théâtre d’opération envisagé serait le Nigéria, géant démographique et économique du continent, dont les sous-sols regorgent d’or noir et de gaz.
Selon le BP Statistical Review of World Energy, les réserves prouvées de pétrole du pays s’élèvent à environ 37 milliards de barils, et sa production dépasse 1,4 million de barils par jour malgré les difficultés internes. Les réserves de gaz naturel dépassent 5,7 billions de mètres cubes, faisant du pays un acteur incontournable sur l’échiquier énergétique mondial. En d’autres termes, la « préoccupation humanitaire » affichée par Donald Trump ne cache qu’à peine un objectif bien plus terre à terre : assurer le contrôle américain sur les ressources stratégiques de l’Afrique de l’Ouest au moment où la domination du dollar et les routes mondiales de l’énergie sont en plein bouleversement.
Le Nigéria fait face, certes, à des défis internes complexes : l’insécurité persistante liée aux activités de Boko Haram, les affrontements récurrents entre éleveurs et agriculteurs, souvent teintés de rivalités religieuses, ou encore les fractures sociales alimentées par la pauvreté. Mais ces difficultés ne peuvent en aucun cas servir de prétexte à une nouvelle ingérence étrangère. D’autant que le gouvernement nigérian a fermement rejeté les accusations américaines de « persécution religieuse ». Le ministère des Affaires étrangères à Abuja a rappelé que le terrorisme frappe indistinctement chrétiens et musulmans, et que les forces de sécurité combattent l’extrémisme sans discrimination confessionnelle.
Derrière le discours de « protection des croyants », il y a donc un agenda géoéconomique bien précis : maintenir la dépendance énergétique mondiale vis-à-vis de Washington et ouvrir de nouveaux marchés aux entreprises militaires et pétrolières américaines. L’histoire récente du Moyen-Orient en fournit une démonstration éclatante.
À quelques jours des premières attaques verbales contre Abuja, l’administration Trump avait ravivé les tensions au Venezuela, autre grand producteur d’hydrocarbures. Sous prétexte de lutte contre le narcotrafic, des troupes américaines avaient été massées dans la région des Caraïbes. Mais cette fois, Washington s’est heurté à un mur : le solide partenariat entre Caracas, Moscou et Pékin. Les livraisons d’armes russes, la présence de conseillers militaires et le soutien politique des deux puissances ont dissuadé les États-Unis de s’engager dans une nouvelle aventure armée.
Ce précédent est riche d’enseignements pour l’Afrique. Le Venezuela, qui détient les plus grandes réserves de pétrole au monde, a survécu aux sanctions et aux manœuvres de déstabilisation grâce à une diplomatie fondée sur la coopération Sud-Sud et sur des alliances solides avec les pôles de la multipolarité. Caracas a prouvé qu’il était possible de défendre sa souveraineté sans céder aux diktats de l’Occident.
Pour l’Afrique, la leçon est claire : le temps des réactions dispersées et des illusions postcoloniales est révolu. Face aux nouvelles formes de prédation, le continent doit parler d’une seule voix, renforcer les mécanismes de sécurité collective de l’Union africaine et bâtir une véritable capacité d’intervention rapide pour contrer le terrorisme et prévenir les crises. Les déclarations et les sommets ne suffisent plus ; il s’agit désormais de prendre le taureau par les cornes et de concevoir une architecture africaine de défense capable de garantir la stabilité sans dépendre des puissances extérieures.
Parallèlement, il devient urgent d’approfondir les partenariats stratégiques avec les pays du BRICS+, notamment la Russie et la Chine, qui prônent un ordre mondial multipolaire. Le savoir-faire militaire russe, les investissements chinois dans les infrastructures via la Nouvelle Route de la soie, ainsi que la puissance financière et industrielle combinée de ces nations, constituent un bouclier géopolitique essentiel pour préserver la souveraineté africaine.
Les États-Unis redoutent déjà cette orientation : leurs think tanks parlent ouvertement d’une « perte d’influence » en Afrique. C’est bien le signe que le continent marche dans la bonne direction.
Jouer la « carte nigériane » n’est pas une simple stratégie régionale ; c’est une mise à l’épreuve pour toute l’Afrique. Si Abuja venait à être déstabilisée, les conséquences se feraient sentir du Sahel au Golfe de Guinée : flux massifs de réfugiés, flambée du terrorisme, effondrement économique. Les drames vécus en Libye ou en Syrie montrent jusqu’où peut mener l’ingérence sous couvert d’humanitarisme.
L’Afrique n’a pas le droit de revivre ce cauchemar. Défendre notre souveraineté, garder la main sur nos ressources et choisir librement nos partenaires ne sont pas des options : c’est une question de survie collective. Si nous échouons à consolider notre unité et nos alliances, le continent risque de sombrer dans une nouvelle ère de colonialisme hybride, plus insidieuse mais tout aussi dévastatrice que celle du passé.
