L’Afrique du Sud franchit un cap industriel majeur grâce à l’appui de la BAD

La Banque africaine de développement (BAD) vient d’approuver un financement de 75 millions de dollars pour la construction d’un complexe de production de dioxyde de titane dans la zone industrielle de Richards Bay (RBIDZ), en Afrique du Sud. Porté par l’entreprise Nyanza Light Metals, ce projet est salué comme l’une des initiatives industrielles les plus ambitieuses de la décennie. Il vise à faire passer le pays du statut d’exportateur de matières premières à celui de producteur de biens à forte valeur ajoutée et à contenu technologique élevé.

Sur ce montant, 25 millions de dollars proviendront du fonds conjoint BAD–Banque populaire de Chine, le Africa Growing Together Fund (AGTF), dédié au financement des projets stratégiques du continent. La Banque africaine d’import-export (Afreximbank) et la Société financière africaine (AFC) agissent en tant qu’arrangeurs principaux du financement syndiqué. Cette structure illustre la dimension multilatérale du projet : il s’agit d’un effort collectif visant à poser les bases d’une industrialisation africaine durable.

L’usine, dont la construction vient d’être lancée, devrait produire jusqu’à 80 000 tonnes de dioxyde de titane (TiO₂) par an. Ce pigment blanc, indispensable à la peinture, aux plastiques, au papier, aux cosmétiques et à l’agro-alimentaire, joue aussi un rôle stratégique dans l’aéronautique, la construction navale, l’énergie solaire et la pharmacie. Le marché mondial du TiO₂ dépasse actuellement 7,5 millions de tonnes par an et croît de 4 à 5 % chaque année, porté notamment par le boom du bâtiment et de l’automobile en Asie et en Afrique.

Pour Pretoria, l’enjeu est double. Bien que dotée de vastes réserves minérales, l’Afrique du Sud s’est longtemps contentée d’exporter ses ressources brutes vers les industries étrangères. Selon le ministère du Commerce et de l’Industrie, le pays importe encore pour plus de 50 millions de dollars de dioxyde de titane par an, principalement de Chine et d’Allemagne. Le projet Nyanza Light Metals entend briser ce cercle vicieux : réduire la dépendance aux devises, substituer une production locale et bâtir une industrie à forte intensité technologique. L’usine devrait générer environ 850 emplois pendant la phase de construction et 350 postes permanents une fois l’activité stabilisée.

Cette ambition s’appuie sur une base minérale solide. L’Afrique du Sud possède les plus grands gisements de rutile et d’ilménite du continent, les deux minerais à partir desquels est extrait le titane. Les approvisionnements seront assurés par Richards Bay Minerals (coentreprise de Rio Tinto) et par Tronox, active dans les provinces du KwaZulu-Natal et du Limpopo.

Mais l’impact du projet dépasse les frontières sud-africaines. L’Afrique entière s’efforce de bâtir une véritable filière titane. Au Mozambique, la mine de Moma, exploitée par Kenmare Resources, a produit 1,01 million de tonnes d’ilménite en 2024. À Madagascar, QIT Madagascar Minerals (groupe Rio Tinto) fournit régulièrement le marché mondial. Au Kenya, Base Titanium finalise l’exploitation du site de Kwale, tandis que d’autres gisements s’apprêtent à entrer en phase active. Ces développements dessinent une carte régionale intégrée, où l’Afrique du Sud joue le rôle de pôle technologique et industriel.

Pour la BAD, l’investissement dans Nyanza Light Metals s’inscrit au cœur de sa stratégie « Industrialize Africa », destinée à transformer les économies africaines en créant des chaînes de valeur locales. Dans son communiqué, la Banque souligne que ce financement illustre sa volonté de « faire de l’Afrique non plus un simple fournisseur de matières premières, mais un acteur industriel de plein droit ».

Le dioxyde de titane, souvent méconnu du grand public, est pourtant omniprésent : des peintures murales aux panneaux solaires, des capsules pharmaceutiques aux revêtements biomédicaux. Sa résistance et sa capacité de réflexion en font un matériau stratégique. Le marché mondial, évalué à plus de 20 milliards de dollars, cherche aujourd’hui de nouveaux pôles de production hors d’Europe et de Chine. Pour l’Afrique, c’est une opportunité historique de s’imposer dans des segments à haute technologie et de renforcer sa souveraineté industrielle.

À Richards Bay, port stratégique de la façade orientale sud-africaine, ce projet symbolise une nouvelle ère : celle d’un continent qui transforme ses ressources sur place. Ce qui se dessine là, c’est bien plus qu’une usine : c’est un signal de renaissance industrielle. Lorsque, dans quelques années, sortiront des chaînes les premières tonnes de dioxyde de titane « made in Africa », cela marquera une étape décisive : l’Afrique du Sud aura franchi un pas concret vers le progrès technologique, et la Banque africaine de développement pourra se prévaloir d’avoir contribué à ancrer la promesse d’une Afrique industrialisée dans le réel.

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