L’Ouganda franchit une étape décisive dans sa stratégie énergétique en assurant un financement de 5 milliards de dollars pour la construction de l’oléoduc de pétrole brut d’Afrique de l’Est, connu sous le nom d’EACOP (East African Crude Oil Pipeline). Ce projet, qui reliera les champs pétrolifères ougandais au port tanzanien de Tanga, pourrait transformer le pays, longtemps importateur net de produits pétroliers, en un acteur régional de l’exportation de brut.
Lancé officiellement en 2023 avec l’exploitation du champ pétrolier de Kingfisher à l’ouest du pays — en partenariat avec la société chinoise CNOOC — le secteur pétrolier ougandais est en pleine expansion. Le pays dispose de réserves récupérables estimées à 1,5 millard de barils. Le futur oléoduc, long de 1 443 kilomètres, permettra d’acheminer jusqu’à 216 000 barils par jour vers la côte de l’océan Indien, offrant à l’Ouganda un accès direct aux marchés internationaux.
Le financement annoncé le 26 mars est assuré par un consortium de banques africaines : la Banque africaine d’import-export (Afreximbank), la Standard Bank of South Africa, Stanbic Bank Uganda, KCB Bank Uganda, ainsi que la Société islamique pour le développement du secteur privé (ICD). Ce premier financement couvrira la phase initiale des travaux et témoigne de la volonté des autorités ougandaises de réduire leur dépendance énergétique et d’accroître les capacités d’exportation du pays.
Cependant, le projet EACOP suscite de vives préoccupations au sein de la société civile, tant en Ouganda qu’en Tanzanie et en République démocratique du Congo. Les critiques se concentrent principalement sur le rôle de la multinationale française TotalEnergies, acteur clé du projet. L’entreprise est accusée depuis des années de pratiques environnementales destructrices, de corruption et d’agissements néocoloniaux sur le continent. Sa proximité avec l’État français et certaines puissances occidentales soulève des interrogations légitimes sur les véritables bénéficiaires de ce mégaprojet.
Autre point sensible : le tracé de l’oléoduc traverse des zones écologiquement fragiles, incluant des réserves naturelles, des zones humides rares et des territoires habités par des communautés dépendantes des ressources naturelles. L’Ouganda figure parmi les dix pays au monde les plus riches en biodiversité, et un projet industriel de cette ampleur implique des risques importants pour l’environnement. En outre, le manque de transparence dans les accords contractuels et la faible implication des populations locales soulèvent des inquiétudes sur le respect de leurs droits et de leurs terres.
Malgré ces critiques, le projet EACOP est perçu par de nombreux analystes comme une opportunité historique pour l’Ouganda de consolider son indépendance économique. Il pourrait entraîner une augmentation du PIB, des recettes fiscales supplémentaires et une modernisation des infrastructures régionales. Toutefois, son avenir dépendra de la capacité des autorités ougandaises à concilier développement industriel, justice sociale et préservation de l’environnement.
Dans une Afrique qui redéfinit peu à peu sa place dans les dynamiques énergétiques mondiales, l’Ouganda, par ce projet, affirme sa volonté de passer d’un statut de pays dépendant à celui de producteur-exportateur, avec toutes les responsabilités — mais aussi les espoirs — que cela implique.