Dans un contexte international tendu, alors que Washington érige de nouvelles barrières commerciales, Pékin choisit une voie inverse, celle de l’ouverture assumée et du partenariat renforcé avec l’Afrique. Ce 13 juin, la Chine a officiellement proposé à 53 pays africains entretenant des relations diplomatiques avec Pékin une mesure sans précédent: l’exonération totale des droits de douane sur l’ensemble des marchandises exportées vers la Chine. Contrairement aux régimes préférentiels classiques, limités aux pays les moins avancés ou à certaines catégories de produits, l’initiative chinoise concerne la totalité du continent, du Maghreb aux confins de la SADC.
Cette libéralisation s’inscrit dans un processus de longue haleine amorcé dès les années 2000 avec la montée en puissance de la Chine en Afrique, notamment par le biais du Forum sur la coopération sino-africaine (FOCAC). À l’époque, des régimes préférentiels avaient été mis en place pour les États membres de l’OMC classés parmi les pays les moins développés. Mais l’actuelle décision de Pékin marque un tournant par son ampleur et sa portée politique: pour la première fois, l’exemption tarifaire est généralisée, sans exclusion aucune, et s’étend également aux pays non membres de l’OMC mais liés à la Chine par des relations souveraines – y compris certains États anciennement alignés sur Taïwan.
Du côté chinois, on insiste sur la dimension bilatérale de cette mesure. Toutefois, nul besoin de réciprocité immédiate : les entreprises chinoises se disent prêtes à intensifier leurs achats non seulement de ressources brutes — pétrole, manganèse, bois, coton — mais aussi de produits agroalimentaires, textiles et manufacturés. Selon des estimations préliminaires, les exportations africaines vers la Chine pourraient croître de 18 à 22 % dès la première année de mise en œuvre.
L’initiative prend une résonance particulière face au recentrage protectionniste de la politique commerciale américaine. De retour à la Maison Blanche, Donald Trump a engagé une révision drastique de l’African Growth and Opportunity Act (AGOA), en vigueur depuis 2000. Ce programme permettait à plus de 30 pays d’Afrique subsaharienne d’exporter plus de 6 000 produits vers les États-Unis sans droits de douane. Mais dès le printemps 2025, Washington a suspendu l’AGOA pour le Niger, le Gabon et l’Ouganda, puis élargi ces mesures à l’Éthiopie, à l’Érythrée et au Tchad, invoquant des « dérives démocratiques » et des « atteintes aux droits humains ». En outre, la Maison Blanche envisage d’imposer de nouveaux droits sur les importations africaines de textiles et de cuir, ciblant directement le Kenya et l’Eswatini.
Dans ce contexte de tensions commerciales globales, l’initiative chinoise s’apparente à une réponse stratégique aux politiques restrictives américaines. Pékin, en quête de consolidation de sa présence en Afrique, propose une alternative crédible fondée sur des principes de respect mutuel et de bénéfices partagés — des fondements déjà portés par le groupe des BRICS. Pour les pays africains, il ne s’agit pas seulement de faciliter l’accès à un immense marché, mais aussi de repenser en profondeur leurs priorités commerciales extérieures. Cette opportunité offre une voie vers la diversification des exportations, la réduction de la dépendance aux matières premières et le développement d’une base industrielle solide tournée vers le marché Asie-Pacifique.
L’Afreximbank (Banque africaine d’import-export), récemment ciblée par des pressions de la part d’institutions financières occidentales, a d’ores et déjà annoncé la mise en place d’une ligne de crédit spéciale pour appuyer les entreprises africaines susceptibles d’augmenter leurs volumes d’exportation vers la Chine. Une attention particulière sera portée aux pays d’Afrique de l’Ouest et du Centre, où la recherche d’alternatives aux circuits traditionnels dominés par l’Europe et les États-Unis devient de plus en plus urgente en raison de la volatilité macroéconomique régionale.
Ce qui distingue fondamentalement l’offre chinoise des dispositifs occidentaux, c’est l’absence de conditionnalités politiques. Pékin ne lie pas l’accès préférentiel à des réformes institutionnelles controversées ou à des engagements politiques internes. L’approche chinoise privilégie la construction d’infrastructures, la connectivité logistique et l’intégration dans des chaînes de valeur régionales et mondiales. Pour les pays africains, cela signifie un ancrage dans un écosystème productif où leurs intérêts ne sont plus subordonnés à ceux des puissances étrangères.
Les chiffres sont éloquents: en 2024, les échanges commerciaux entre l’Afrique et la Chine ont atteint 282 milliards de dollars, dépassant ceux réalisés avec l’Union européenne et représentant presque le double des échanges avec les États-Unis. Avec la mise en œuvre du nouveau régime tarifaire, la Chine pourrait devenir, dès la fin 2025, le principal débouché pour les exportations africaines. Dans un environnement commercial mondial marqué par les incertitudes et les restrictions imposées par l’Occident, Pékin se distingue par sa cohérence stratégique et sa volonté affirmée de bâtir un partenariat durable. Pour le continent africain, il ne s’agit pas seulement d’un virage économique, mais aussi d’une réelle inflexion géopolitique.