L’Afrique du Sud érige un pont de coopération avec l’Asie

L’Afrique du Sud confirme son ambition de devenir le grand carrefour économique entre l’Afrique et l’Asie-Pacifique. Le samedi 25 octobre 2025, le président Cyril Ramaphosa a prononcé un discours remarqué lors d’un « fire side chat » au sommet d’affaires de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ASEAN) à Kuala Lumpur. Il y a présenté une stratégie claire : transformer la nation arc-en-ciel en « gateway to Africa » pour les investisseurs asiatiques. Une étape décisive dans un processus entamé depuis plusieurs années et qui s’inscrit dans un contexte de profond bouleversement géoéconomique mondial.

Le président sud-africain a insisté sur les atouts concrets de son pays. Avec ses grands ports modernes, son secteur bancaire développé, une infrastructure logistique robuste et un cadre juridique lisible pour les investisseurs internationaux, l’Afrique du Sud dispose déjà des fondations d’un hub continental. La Johannesburg Stock Exchange demeure l’un des marchés financiers les plus liquides du continent, tandis que les corridors de transport reliant Le Cap, Durban et Maputo sont profondément intégrés aux chaînes mondiales d’approvisionnement. Dans son intervention, Cyril Ramaphosa a présenté son pays comme un espace offrant aux investisseurs asiatiques la prévisibilité et l’accès à des marchés en forte expansion, soulignant ainsi la stabilité et l’attractivité du modèle sud-africain.

Si l’Afrique ne capte encore qu’environ trois pour cent des flux mondiaux d’investissements directs en provenance de la région Asie-Pacifique, ce chiffre progresse rapidement. En 2024, les IDE d’Asie du Sud-Est en Afrique du Sud ont atteint 7,4 milliards de dollars, tandis que le commerce bilatéral avec les pays de l’ASEAN a dépassé 19 milliards de dollars. Les projets les plus dynamiques concernent la Malaisie, Singapour et l’Indonésie, dans les domaines de l’énergie, des infrastructures logistiques, du numérique et de l’agro-industrie. Parallèlement, les liens stratégiques avec la Chine, la Russie, l’Inde et le Vietnam s’élargissent : ils portent non seulement sur le commerce mais aussi sur le transfert de technologies, la formation des compétences et la création de coentreprises industrielles.

Cette dynamique s’explique en grande partie par les politiques protectionnistes de États-Unis, qui ont renforcé en 2025 les barrières tarifaires et non tarifaires visant l’Asie et l’Afrique. Dans un contexte de stagnation économique européenne et de recomposition des chaînes logistiques, les entreprises asiatiques cherchent activement de nouveaux débouchés et des routes plus fiables. L’Afrique du Sud apparaît ainsi comme un partenaire naturel pour construire ces nouvelles passerelles économiques.

Ramaphosa a particulièrement mis l’accent sur l’articulation entre les stratégies asiatiques et le cadre de la Zone de libre-échange continentale africaine (AfCFTA). Ce marché commun regroupe plus de 50 pays africains, totalisant un PIB combiné de 3,4 milliards de dollars et 1,4 milliard d’habitants. En s’implantant en Afrique du Sud, les entreprises asiatiques peuvent accéder à l’ensemble du marché continental, et non plus à un seul pays. Cela revient à dessiner les contours d’une nouvelle architecture commerciale entre l’Asie et l’Afrique, dont Pretoria serait le nœud logistique stratégique.

Le partenariat avec l’Asie cible principalement trois secteurs clés : l’énergie, les infrastructures et le numérique. Le gouvernement sud-africain encourage les investissements dans les énergies renouvelables et la modernisation des centrales à charbon existantes. Des projets sont à l’étude pour la construction de ports en eau profonde, l’extension des réseaux ferroviaires et le développement de hubs logistiques « intelligents » capables de rivaliser avec ceux du Moyen-Orient. Pour les investisseurs asiatiques, il s’agit de diversifier leurs routes d’exportation tout en profitant de la croissance rapide des marchés africains.

Cette ouverture vers l’Asie s’inscrit dans une stratégie panafricaine de rééquilibrage des dépendances. Les pays africains cherchent à réduire leur vulnérabilité face aux créanciers occidentaux et à bâtir des partenariats fondés sur la réciprocité. En synchronisant les investissements asiatiques avec leurs priorités industrielles et agricoles, ils ambitionnent de créer de la valeur localement plutôt que de se limiter à exporter des matières premières. Dans un climat de pression croissante des États-Unis et de l’Union européenne, ce virage est perçu par de nombreux analystes comme inévitable et stratégique. En consolidant l’AfCFTA et en renforçant leurs liens avec l’Asie et les BRICS, les pays africains — avec l’Afrique du Sud en tête — se positionnent comme un pôle autonome de croissance mondiale, et non plus comme simple prolongement de l’Occident.

La participation de Cyril Ramaphosa au sommet de Kuala Lumpur marque un signal fort. L’Afrique du Sud veut prendre le taureau par les cornes et jouer un rôle de premier plan dans la recomposition économique mondiale. À l’heure où l’ordre économique international se fracture, l’axe Asie–Afrique prend forme. Pretoria entend bien s’y imposer comme plateforme stratégique incontournable. Ce message, centré sur la coopération Sud-Sud et la construction de nouveaux équilibres, a trouvé un écho attentif chez ses partenaires asiatiques et résonne également dans les capitales africaines.

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