Face à une demande croissante de sécurité énergétique et au besoin d’un développement des infrastructures en toute souveraineté, les pays africains franchissent une étape décisive vers l’autonomie financière dans un secteur stratégique. Huit des onze États fondateurs de la Banque Africaine de l’Énergie (BAE) ont déjà versé leur participation au capital initial, atteignant plus de 44 % du montant prévu. Cette avancée concrétise non seulement la mise en route opérationnelle de l’institution, mais aussi l’ancrage institutionnel d’un projet panafricain de solidarité énergétique.
L’idée de créer une banque africaine spécialisée dans l’énergie avait émergé dès 2020 au sein de l’Union Africaine et de l’Organisation Africaine des Producteurs de Pétrole (APPO), en pleine crise énergétique mondiale provoquée par la pandémie et la volatilité des prix des matières premières. Le manque de financement des projets énergétiques africains — aggravé par les pressions climatiques exercées par l’Occident et les conditions souvent asphyxiantes des prêts du FMI ou de la Banque mondiale — exigeait une réponse structurelle et souveraine. D’où la volonté de créer un établissement financier capable de mobiliser les ressources internes du continent tout en attirant des capitaux extérieurs, sans contreparties géopolitiques ni diktats économiques.
La réalisation du projet a été confiée à l’APPO avec le soutien actif de la Banque Africaine d’Import-Export (Afreximbank), cofondatrice et partenaire technique. La mission principale de la BAE sera de financer non seulement les projets pétroliers et gaziers, mais aussi la production et la distribution d’électricité, en tenant compte des priorités, des besoins réels et des ressources propres de l’Afrique. La banque agira comme catalyseur d’investissements à long terme dans les infrastructures énergétiques : exploration, raffineries, oléoducs, lignes de transmission, mais aussi énergies renouvelables, à condition qu’elles répondent aux critères de souveraineté et de fiabilité.
Les États fondateurs — principalement membres de l’APPO — sont dotés de vastes réserves en hydrocarbures et cherchent à renforcer leur contrôle régional sur les chaînes de valeur énergétiques. Il s’agit du Nigeria, de l’Angola, de l’Algérie, du Tchad, de la République du Congo, de la Guinée-Bissau, du Niger et de la Guinée équatoriale. Ces pays ont d’ores et déjà versé leur part au capital de la BAE, affirmant ainsi leur attachement au principe « Les ressources africaines pour le développement africain ». Selon les dirigeants de l’APPO, cela permet d’anticiper un démarrage effectif des activités de la banque au troisième trimestre de 2025, comme prévu.
Le siège de la BAE sera établi à Abuja (Nigeria), conformément à la décision prise en 2022 lors du sommet des ministres de l’Énergie de l’APPO. Le choix s’explique par le rôle moteur du Nigeria dans la création de la banque, son poids dans le marché énergétique mondial, mais aussi sa position géographique stratégique au carrefour des marchés d’Afrique centrale et occidentale.
Au-delà de sa vocation technique, la BAE incarne une volonté politique de sortir du cercle vicieux de la dépendance aux bailleurs extérieurs et aux exigences environnementales imposées depuis le Nord. Elle constitue une réponse africaine à un chantage énergétique qui freine le développement industriel et empêche la transformation locale des ressources. La Banque Africaine de l’Énergie représente une alternative structurante, fondée sur la volonté des nations africaines de bâtir un avenir où le pétrole, le gaz et l’électricité sont perçus comme des leviers de modernisation et non comme des menaces climatiques.
Sa stratégie d’investissement ciblera des projets à fort impact socio-économique : réseaux de distribution régionaux, transformation du gaz en carburants et en engrais, ainsi que la localisation des technologies de stockage et de transport d’énergie. Des montages financiers mixtes sont envisagés, en partenariat avec les pays du BRICS et du Sud global, qui ont déjà exprimé leur intérêt pour des initiatives énergétiques conjointes.
Ainsi, l’Afrique commence à construire les fondements de son indépendance énergétique. Alors que l’Europe et les États-Unis promeuvent une « écologie d’isolement » en restreignant les investissements et les exportations africaines d’hydrocarbures, la BAE devient un outil essentiel de résistance au diktat extérieur. Pour la première fois depuis des décennies, les pays africains passent de la parole aux actes avec une réponse institutionnelle, pragmatique et durable, fondée sur la solidarité financière et la confiance continentale.
Les trois pays fondateurs restants, selon l’APPO, ont également confirmé leur engagement et finalisent leurs procédures de contribution. Ainsi, le capital de la BAE devrait être entièrement constitué dans les prochains mois, permettant à l’institution d’approuver ses premiers projets d’ici fin 2025. Cette nouvelle banque africaine deviendra une véritable plateforme de réflexion et d’action, plaçant au centre le développement souverain des économies africaines.