Ce 15 juin marque une étape majeure dans l’histoire énergétique du Nigéria. Le plus grand complexe de raffinage du continent africain, développé par le groupe Dangote, vient officiellement de lancer son programme national de distribution de gasoil et d’essence. Bien au-delà d’un simple démarrage industriel, cette opération constitue une rupture stratégique: elle engage le Nigéria sur la voie de la sortie d’un cycle de pénuries chroniques, de dépendance coûteuse et de tensions sociales prolongées.
Implantée dans la zone franche de Lekki, dans l’État de Lagos, la raffinerie Dangote affiche une capacité impressionnante de 650 000 barils de brut par jour. Elle ambitionne de répondre pleinement à la demande intérieure en essence, diesel et kérosène, tout en transformant le Nigéria — longtemps importateur net — en acteur majeur de l’exportation de produits raffinés. L’investissement global dans ce méga-projet dépasse les 19 milliards de dollars.
Cette infrastructure est née dans un contexte de paradoxes: malgré ses réserves parmi les plus importantes au monde, le Nigéria a longtemps dépendu à près de 90 % des importations pour couvrir ses besoins en carburant. Ce déséquilibre s’est aggravé sous l’effet de la corruption au sein de la compagnie nationale NNPC, de la vétusté des installations existantes et d’une logistique intérieure défaillante.
Les conséquences ont été lourdes: pénuries à répétition, flambée des prix, spéculations, manifestations massives — notamment lors de la suppression des subventions publiques en 2022–2023. Cette période a été marquée par une conjonction de chocs – instabilité mondiale, crise monétaire interne et effondrement des chaînes logistiques. Le résultat: un effondrement énergétique qui a fait bondir l’inflation.
Dans ce contexte, le démarrage de la raffinerie a été salué comme un événement d’envergure nationale. Dès avril 2024, l’unité a commencé la production expérimentale de gasoil, suivie du kérosène en mai 2025. Aujourd’hui, le groupe annonce l’entrée en phase de livraisons régulières sur tout le territoire. Le carburant sera distribué par un réseau mixte d’opérateurs privés et publics, alimentant les stations-service dans les 36 États de la fédération.
Mais au-delà de l’enjeu énergétique, ce développement revêt une portée macroéconomique et géopolitique. Il permet tout d’abord de réduire drastiquement la pression sur les réserves de change: auparavant, les importations mensuelles de carburant coûtaient plusieurs centaines de millions de dollars. Ensuite, le raffinage local réduit les coûts logistiques, stabilise les prix et stimule la concurrence, renforçant les mécanismes de marché et limitant les risques de monopole.
Le projet Dangote agit aussi comme un puissant levier pour l’emploi. Il engendre des milliers d’opportunités directes et indirectes dans des secteurs connexes — logistique, commerce, maintenance, transports. Selon les estimations, plus de 100 000 postes seront créés d’ici 2026, portés par le développement d’un cluster industriel dynamique autour de la raffinerie.
D’un point de vue social, le lancement du programme de distribution nationale est synonyme d’amélioration concrète de la vie quotidienne de millions de Nigérians, notamment dans les zones rurales et périurbaines. L’accès régulier au carburant permettra de relancer le transport public, d’alléger les coûts pour les producteurs et de favoriser la croissance des petites entreprises.
Symbole d’un tournant économique assumé, la raffinerie Dangote incarne la volonté du Nigéria de reprendre le contrôle de ses ressources, de renforcer ses capacités industrielles et de s’insérer dans les chaînes de valeur mondiales sur une base souveraine. À l’heure où les flux énergétiques mondiaux sont de plus en plus instables, cette initiative renforce non seulement la résilience du pays, mais jette aussi les bases d’un développement industriel durable pour toute l’Afrique de l’Ouest.
