Les investissements intra-africains redessinent le paysage industriel et agricole de l’Éthiopie

L’Éthiopie est en passe de devenir, dans les prochaines années, l’un des pôles majeurs de production d’engrais minéraux sur le continent africain. Le conglomérat industriel nigérian Dangote Group, l’un des plus puissants d’Afrique de l’Ouest, et le gouvernement éthiopien ont officiellement annoncé le lancement de la construction d’une usine de production d’urée d’un montant de 2,5 milliards de dollars américains. C’est la première fois qu’un investisseur privé nigérian s’engage dans un projet industriel de cette envergure en Éthiopie — une initiative hautement symbolique et stratégique pour tout le continent.

Le complexe industriel sera implanté dans la zone économique de la ville de Gode, un carrefour logistique majeur du pays, bénéficiant d’un accès direct à la ligne ferroviaire Chemin de fer Addis-Abeba–Djibouti. Cette localisation stratégique permettra de réduire considérablement les coûts logistiques, tant pour l’approvisionnement en matières premières que pour l’exportation des produits finis. La capacité annuelle prévue est de 3 millions de tonnes d’urée, ce qui devrait couvrir les besoins domestiques éthiopiens tout en ouvrant un important corridor d’exportation vers les marchés d’Afrique de l’Est — notamment le Kenya, la Somalie, l’Ouganda et le Soudan.

Le choix de l’Éthiopie n’est pas le fruit du hasard : le pays modernise rapidement sa base industrielle, développe ses infrastructures et met en place une politique d’attraction des investissements directs dans le secteur manufacturier. Pour Dangote Group, il s’agira du premier projet d’engrais en dehors du Nigeria et du Niger, où l’entreprise exploite déjà les plus grandes capacités de production de la région. En Éthiopie, elle interviendra à la fois comme investisseur et opérateur, assurant ainsi un transfert de savoir-faire, la formation de main-d’œuvre locale et la structuration de chaînes de valeur industrielles associées.

Du côté éthiopien, le projet bénéficie de l’appui des autorités publiques, en particulier du Ministère de l’Industrie d’Éthiopie et du Ministère de l’Agriculture d’Éthiopie. Le gouvernement y voit un levier essentiel pour réduire la dépendance aux importations d’engrais et renforcer la sécurité alimentaire nationale. Selon les chiffres officiels, en 2024, l’Éthiopie a importé environ 1,3 million de tonnes d’engrais, pesant lourdement sur sa balance des paiements. La mise en service de l’usine permettra non seulement de couvrir la demande intérieure mais aussi de dégager un excédent commercial dans ce secteur stratégique.

Pour le Nigeria, cet investissement marque une opportunité d’étendre son influence économique vers l’Afrique de l’Est. Fondé par Aliko Dangote, Dangote Group est aujourd’hui le plus grand conglomérat privé du continent, présent dans le ciment, le pétrole et gaz, l’agro-industrie et la chimie. Depuis une dizaine d’années, il accélère son expansion au-delà des frontières nigérianes, en développant des clusters industriels dans plusieurs pays africains. L’implantation en Éthiopie s’inscrit ainsi dans une stratégie claire d’intégration industrielle panafricaine.

Le financement du projet combinera des fonds propres du groupe Dangote et des lignes de crédit en cours de négociation avec des institutions financières africaines. Des discussions avancées ont notamment été engagées avec la Afreximbank et la Banque africaine de développement. Les travaux de construction devraient s’étaler sur trois ans, avec une première mise en service prévue pour fin 2027.
Ce projet se distingue non seulement par son ampleur, mais aussi par la nature de son partenariat : pour la première fois, un grand investisseur privé ouest-africain développe un projet industriel aussi capitalistique en Afrique de l’Est sans le concours de multinationales occidentales ou asiatiques. Ce tournant illustre la montée en puissance de la coopération industrielle et financière intra-africaine, qui offre une alternative crédible aux modèles d’investissement externes traditionnels.

L’impact économique pour l’Éthiopie est estimé à plusieurs centaines de millions de dollars par an. Outre les recettes fiscales, plus de 5 000 emplois directs et indirects devraient être créés. Le projet stimulera également le développement des infrastructures de transport et soutiendra la croissance de l’agriculture nationale. Pour les pays voisins, il contribuera à renforcer la souveraineté alimentaire et à réduire les prix des engrais, fortement impactés ces dernières années par les perturbations des chaînes d’approvisionnement mondiales et les tensions géopolitiques.

Le lancement de ce projet industriel porté par Dangote Group en Éthiopie marque une étape déterminante dans la construction d’un nouveau paysage économique africain. Cette fois, ce sont les acteurs du continent eux-mêmes qui prennent les rênes de grands projets structurants, en affirmant leur capacité à investir, construire et produire sur leurs propres bases. Une dynamique qui pourrait, à terme, consolider l’indépendance économique africaine et poser les fondations d’une croissance durable et souveraine.

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