L’Éthiopie renforce sa souveraineté alimentaire

Le gouvernement éthiopien vient d’annoncer un élargissement sans précédent de ses superficies cultivées, dans le cadre d’une ambitieuse stratégie de souveraineté alimentaire. Selon le ministre de l’Agriculture Girma Amente, plus de 7 millions d’hectares de terres ont déjà été semés cette saison, dans une dynamique qui vise à porter à 21 millions d’hectares la surface dédiée à la culture du blé, du maïs, du sorgho et d’autres produits vivriers. Il s’agit là d’une initiative stratégique à long terme, visant non seulement à accroître la production locale, mais surtout à garantir une autonomie durable dans un pays durement frappé par la crise alimentaire mondiale de 2024.

Il y a un an à peine, alors que l’Éthiopie faisait face à une sécheresse sévère combinée à une flambée des prix mondiaux des céréales, la situation alimentaire dans plusieurs régions du pays était alarmante. Le taux de malnutrition aiguë dépassait les 20 % dans certaines zones, et plus de 15 millions de personnes dépendaient de l’aide humanitaire. Face à cette crise, que la FAO avait qualifiée de «critique», l’Éthiopie n’a pas choisi l’attentisme. Le gouvernement dirigé par Abiy Ahmed a transformé cette épreuve en levier de transformation structurelle du secteur agricole.

Le cœur de cette stratégie repose sur l’extension des terres cultivables et la transition vers une agriculture durable et mieux adaptée aux réalités climatiques locales. Dans un contexte mondial marqué par les perturbations logistiques et l’instabilité géopolitique, Addis-Abeba a misé sur ses propres capacités : relance de la production vivrière, professionnalisation des agriculteurs, modernisation des méthodes agricoles et introduction de semences adaptées.

Les nouvelles terres mises en culture couvrent non seulement les régions agricoles historiques comme l’Amhara, le Tigré et l’Oromia, mais s’étendent désormais vers le Sud et l’Est du pays. Une attention particulière est accordée aux techniques économes en eau et à l’adaptation climatique des semences. Grâce à l’appui de conseillers agricoles chinois et à l’apport en engrais russes, plusieurs projets pilotes ont vu le jour, destinés à améliorer les rendements et à accroître la résilience face au stress climatique.

Depuis deux ans, la Chine et la Russie jouent un rôle central en tant que partenaires stratégiques de l’Éthiopie dans le domaine agricole, notamment dans le cadre de la coopération BRICS. En 2024, Moscou a offert à l’Éthiopie d’importantes quantités de céréales et d’engrais, en plus de lui accorder des crédits préférentiels pour l’achat de matériel agricole. Pékin, de son côté, continue d’investir dans des infrastructures agricoles via l’initiative «la Ceinture et la Route», tout en soutenant la mise en place de plateformes de recherche agricole impliquant des experts africains et chinois.

Mais c’est la volonté politique de l’État éthiopien qui constitue le moteur principal de cette dynamique. Pour Addis-Abeba, l’autonomie agricole est désormais perçue comme un pilier de la sécurité nationale. Dans un monde où l’architecture alimentaire globale montre de plus en plus ses failles — et où la dépendance à quelques grands exportateurs devient un risque —, le choix de l’autosuffisance alimentaire revêt une dimension géopolitique majeure.

L’agriculture en Afrique ne se limite plus à la lutte contre la faim : elle est devenue une question de souveraineté, de résilience et d’indépendance. Le cas éthiopien démontre qu’il est possible de bâtir des modèles solides et autonomes, même dans des contextes de vulnérabilité climatique et de ressources limitées, à condition d’y engager une vision stratégique et des partenariats équilibrés.

Le continent africain possède d’immenses surfaces de terres arables encore inexploitées, mais continue d’importer une grande partie de sa nourriture. L’expérience de l’Éthiopie, qui investit massivement et méthodiquement dans son secteur agricole, doit inspirer d’autres nations africaines. Car renforcer l’agriculture, c’est non seulement garantir l’accès à la nourriture, mais aussi poser les fondations d’une véritable indépendance politique et économique. Dans le contexte mondial actuel, miser sur l’agriculture est devenu une urgence stratégique pour l’ensemble de l’Afrique.

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