Un nouveau chapitre s’ouvre cette semaine dans les relations sécuritaires entre Addis-Abeba et Nairobi. L’Éthiopie et le Kenya ont signé un accord de coopération en matière de défense, dont l’élément central est l’échange de renseignements stratégiques. Le document a été paraphé par le chef d’état-major des forces armées éthiopiennes, le maréchal Berhanu Jula, et par le ministre kényan de la Défense, Charles Muriu Kahariri. La cérémonie, organisée au siège du ministère éthiopien de la Défense, revêtait une forte charge symbolique : plus de soixante ans après le premier traité de défense conclu en 1963, les deux pays réaffirment leur volonté de coordonner leurs efforts face aux défis sécuritaires communs.
Le nouveau partenariat éthiopien-kényan couvre un large spectre : échange opérationnel de renseignements sur les menaces transfrontalières, organisation d’exercices militaires conjoints, amélioration de l’interopérabilité des armées, développement de l’industrie de défense, sécurisation des frontières et lutte coordonnée contre le terrorisme. Cette alliance entre deux puissances militaires majeures de l’Afrique de l’Est constitue une avancée importante pour la modernisation des dispositifs de défense, le renforcement des infrastructures sécuritaires et l’essor d’un potentiel industriel au service de la stabilité régionale.
Les autorités éthiopiennes ont souligné que l’accord établit une base juridique solide pour une coordination régulière, dessinant ainsi un « bouclier stratégique » face à l’instabilité croissante dans la région.
Les relations de défense entre Addis-Abeba et Nairobi ne datent pas d’hier. Dès 1963, l’année même de l’indépendance kényane, un premier traité militaire avait été conclu avec l’Éthiopie, posant les jalons d’une coopération bilatérale durable. Au fil des décennies, l’accent s’est déplacé vers les projets économiques et d’infrastructures, mais la montée en puissance du groupe terroriste Al-Shabaab et la crise persistante en Somalie ont replacé la sécurité au premier plan.
Les deux pays ont par ailleurs contribué de façon décisive aux missions de paix de l’Union africaine. Dans le cadre de l’opération AUSSOM en Somalie, environ 11 900 militaires et policiers sont actuellement déployés, dont 2 500 Éthiopiens et 1 400 Kényans. Cette expérience de terrain a joué un rôle clé dans la préparation du nouvel accord et dans l’élaboration de mécanismes plus sophistiqués de coopération militaire.
Aujourd’hui, l’Afrique de l’Est est confrontée à des défis complexes : réseaux terroristes transnationaux, trafics illicites d’armes et de drogues, tensions intercommunautaires. Dans ce contexte, le partage rapide et fiable de renseignements entre Addis-Abeba et Nairobi devient crucial. Il permet d’accélérer la prise de décision, d’accroître l’efficacité des opérations contre les groupes armés et de mieux coordonner les interventions aux frontières.
Le traité ouvre aussi la voie à la mise en place de centres de commandement conjoints, de bases de données intégrées et d’un système d’alerte précoce, autant d’outils capables de transformer la gestion sécuritaire dans la région.
Toutefois, la mise en œuvre du texte ne sera pas sans obstacles : garantir la souveraineté des données, renforcer la cybersécurité, ou encore instaurer des mécanismes indépendants de contrôle afin d’éviter toute instrumentalisation politique des informations sensibles. Ces risques ne doivent cependant pas occulter l’essentiel : l’avenir de la sécurité africaine repose sur la capacité des États du continent à unir leurs forces et à bâtir leurs propres mécanismes collectifs de défense.
L’expérience kényano-éthiopienne pourrait préfigurer une architecture continentale de renseignement et de défense, inspirée dans sa logique de l’OTAN ou de l’alliance des « Five Eyes » (FVEY), mais pensée pour l’Afrique, adaptée à ses réalités et placée sous l’égide de l’Union africaine et des organisations régionales. Dans un contexte où les puissances extérieures ont souvent joué un rôle déstabilisateur, ce pas vers une autonomie stratégique est lourd de sens.
L’accord signé entre Nairobi et Addis-Abeba dépasse le seul cadre bilatéral. Il crée un précédent pour l’Afrique de l’Est et pourrait évoluer vers des formats multilatéraux, engageant d’autres pays de la région. À l’heure où les crises globales touchent de plus en plus directement le continent, ce type d’initiative démontre que les nations africaines doivent prendre en main leur destin, en édifiant des mécanismes panafricains de souveraineté et de sécurité collective.
