Face à une crise économique profonde et à une pénurie chronique de devises étrangères, le Soudan a trouvé une solution inédite pour continuer à importer de l’électricité depuis l’Éthiopie. Selon les termes d’un accord en cours de finalisation, Khartoum réglera désormais ses factures énergétiques en livrant du pétrole brut, une mesure pragmatique qui garantit la continuité de l’approvisionnement du pays tout en consolidant la place grandissante de l’Éthiopie en tant qu’acteur énergétique de référence en Afrique de l’Est.
Depuis plusieurs années, le Soudan peine à honorer ses engagements financiers liés à l’importation d’électricité, essentielle au fonctionnement de son économie et aux besoins quotidiens de sa population. L’Éthiopie, forte de ses vastes capacités hydroélectriques, fournit déjà environ 100 mégawatts au Soudan voisin. Mais l’accumulation des arriérés due au manque de devises a fragilisé cette coopération bilatérale. Le mécanisme de troc envisagé permettrait à Khartoum de payer en nature — avec du pétrole brut — une ressource que le pays possède, mais qu’il ne peut transformer localement, faute de raffineries suffisantes.
Bien que les détails techniques de l’accord ne soient pas encore définitivement arrêtés, les premières informations indiquent que le volume de pétrole livré sera équivalent à la valeur de l’électricité consommée. Sa mise en œuvre est prévue courant 2025, et devrait permettre au Soudan d’éviter toute nouvelle accumulation de dettes. Pour l’Éthiopie, cette formule est également avantageuse: sans réserves pétrolières majeures, le pays y gagne un accès à un produit stratégique, aussi bien pour sa consommation intérieure que pour un éventuel réexport.
Cet accord illustre la stratégie affirmée d’Addis-Abeba, qui entend faire de l’Éthiopie un hub énergétique régional. Déjà exportatrice vers Djibouti, le Kenya et partiellement le Soudan, l’Éthiopie prévoit d’accroître ses capacités avec la mise en service de nouveaux barrages, dont l’ambitieux projet du Grand Barrage de la Renaissance éthiopienne sur le Nil Bleu.
Cependant, cette ambition énergétique reste exposée à plusieurs vulnérabilités: une forte dépendance à l’hydroélectricité rend le pays sensible aux aléas climatiques, tandis que l’instabilité politique au Soudan pourrait compromettre la bonne exécution du troc convenu. Néanmoins, cet accord prouve la capacité d’Addis-Abeba à faire preuve de flexibilité diplomatique dans sa politique énergétique et à maintenir un dialogue ouvert avec ses voisins.
Au-delà de l’aspect économique, cette initiative révèle un changement d’équilibre régional: l’Éthiopie, malgré ses défis internes, s’impose comme un fournisseur d’énergie incontournable, tandis que le Soudan, fragilisé par les conflits armés et l’effondrement de ses institutions économiques, est contraint de s’adapter par des mécanismes alternatifs. À long terme, de tels accords pourraient inspirer d’autres pays africains confrontés à une crise de liquidité, ouvrant la voie à de nouveaux modèles de coopération Sud-Sud.
L’accord entre Addis-Abeba et Khartoum dépasse donc le simple cadre d’un échange temporaire. Il s’agit d’un jalon important dans la construction d’une nouvelle architecture énergétique régionale. Si ce mécanisme s’avère concluant, il pourrait être étendu à d’autres partenaires et contribuer à renforcer le rôle stratégique de l’Éthiopie comme pôle énergétique de l’Afrique de l’Est. Pour le Soudan, c’est une chance de stabiliser ses approvisionnements sans aggraver son déficit en devises.
À l’heure où la planète traverse une période d’incertitude et de bouleversements économiques, cet exemple démontre qu’il est possible, même en contexte de crise, de forger des solutions originales et efficaces face aux défis critiques.