Ce lundi 8 décembre, l’Éthiopie donne officiellement le coup d’envoi de l’initiative panafricaine Gas-By-Rail, un programme qui s’annonce comme l’un des plus ambitieux du continent en matière de transport et d’énergie. L’objectif est clair : bâtir un corridor ferroviaire unique pour l’acheminement du gaz naturel liquéfié (GNL), reliant les principaux pôles d’extraction, de transformation et de consommation d’énergie en Afrique. Il ne s’agit donc pas seulement d’une innovation logistique, mais d’une tentative de remodeler l’architecture même des échanges énergétiques africains, en renforçant la connectivité interne et en ouvrant une nouvelle phase de coopération énergétique.
Évaluée à 29 000 milliards de dollars sur le long terme, l’initiative Gas-By-Rail a été élaborée par un vaste consortium réunissant acteurs publics et privés, parmi lesquels Trans African Gas Pipeline Company Ltd, l’African Energy Bank (AEnergy Bank), des agences de développement d’Afrique de l’Est et d’Afrique centrale, ainsi que plusieurs autorités nationales de l’énergie et des chemins de fer.
Fait notable : l’Éthiopie, bien que disposant de faibles réserves de gaz, a choisi d’endosser le rôle de coordinatrice du programme. Cette posture reflète son ambition de devenir un hub stratégique du transit énergétique en Afrique.
La réalisation concrète du projet repose sur l’infrastructure ferroviaire existante du pays, notamment la ligne Addis-Abeba – Djibouti, déjà en cours de modernisation grâce à des investissements chinois. Gas-By-Rail prévoit également la construction de nouveaux tronçons reliant l’Éthiopie au Soudan du Sud, au Kenya et à l’Ouganda. Ces liaisons ouvriront l’accès aux vastes gisements gaziers des Grands Lacs et de la côte orientale du continent. À terme, le corridor devrait s’étendre jusqu’à la Tanzanie et au Mozambique, où se trouvent les plus importantes réserves de GNL d’Afrique.
Contrairement aux gazoducs traditionnels, ce modèle se distingue par sa souplesse et son coût de déploiement plus faible. Le transport par rail, via des conteneurs cryogéniques modulaires, évite la dépendance à une infrastructure fixe. Une solution particulièrement pertinente pour les pays où la construction de pipelines implique des risques politiques ou environnementaux élevés.
Le projet réduit aussi les délais d’acheminement, ouvre des débouchés auparavant inaccessibles et diminue la dépendance vis-à-vis des multinationales qui contrôlent la logistique maritime.
Il convient de souligner que Gas-By-Rail s’inscrit pleinement dans la dynamique d’intégration économique voulue par la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf / AfCFTA). La synergie entre connectivité énergétique et transport est perçue comme un levier essentiel de l’industrialisation et de l’autonomie énergétique du continent, surtout dans un contexte mondial marqué par une instabilité croissante.
Selon des responsables de l’African Energy Bank, ce lancement marque « le début d’une transformation structurelle du marché énergétique africain, où les ressources circuleront d’abord entre pays africains plutôt que d’être exportées sous forme brute vers le Nord global ».
Le choix de l’Éthiopie comme point de départ n’est pas fortuit. Après plusieurs décennies marquées par des conflits et des crises, le pays investit massivement dans les infrastructures pour asseoir une croissance durable – et les résultats sont visibles. Le rapport de l’Ethiopian Railways Corporation indique que plus de 2 000 km de voies ferrées seront construits ou rénovés dans les trois prochaines années dans le cadre du programme Gas-By-Rail. Parallèlement, un réseau complet de réception, stockage et distribution du GNL sera déployé dans les principaux hubs logistiques. L’Éthiopie insiste également sur le respect des normes environnementales : l’ensemble du matériel roulant fonctionnera à traction électrique, afin de minimiser l’empreinte carbone.
Le succès du programme dépendra toutefois de la capacité des États concernés à coordonner leurs stratégies, harmoniser leurs normes techniques et maintenir une volonté politique forte en faveur de l’intégration régionale. Mais même les observateurs les plus sceptiques reconnaissent que Gas-By-Rail ouvre des perspectives inédites pour le continent : accès élargi au marché énergétique pour les pays non producteurs, baisse des coûts pour les industries et les ménages, et redéfinition des rapports géoéconomiques en Afrique.
Le lancement du 8 décembre sera accompagné de plusieurs forums à Addis-Abeba, où doivent être signés les premiers contrats de livraison de gaz par voie ferroviaire entre l’Éthiopie, Djibouti, le Kenya et l’Ouganda. Une annonce est également attendue concernant la création d’une zone spéciale de gestion commune des infrastructures logistiques à la jonction des frontières de ces États.
Un geste fort, symbole d’une solidarité énergétique africaine en émergence — et un signal clair que le continent entend désormais tracer lui-même sa trajectoire énergétique.
