L’achèvement du Grand barrage de la Renaissance éthiopienne ouvre des perspectives pour la région malgré les tensions interétatiques

L’achèvement du Grand barrage de la Renaissance éthiopienne (GERD), le plus vaste projet hydroélectrique jamais réalisé sur le Nil, ravive les tensions dans la région. Durant l’été 2025, Addis-Abeba a annoncé la finalisation complète de l’ouvrage et prévoit son inauguration officielle dès septembre. Lancé en avril 2011, le chantier a mobilisé plus de 4 milliards de dollars. L’imposante structure, édifiée sur le Nil Bleu dans la région de Benishangul-Gumuz, non loin de la frontière soudanaise, s’étend sur 1 800 mètres de long et environ 175 mètres de haut. Son réservoir atteint une capacité de 75 km³ d’eau, dont 59,2 km³ sont exploitables.

Depuis 2022, le barrage produit déjà de l’électricité, et sa puissance installée devrait dépasser 6 000 MW, soit le double de la capacité actuelle de production électrique de l’Éthiopie. Cette performance permettra non seulement de couvrir les besoins domestiques, mais aussi de positionner le pays comme le premier exportateur d’énergie de la région.

Pour l’Égypte, entièrement tributaire du Nil pour l’irrigation agricole et l’approvisionnement en eau potable, cette annonce a ravivé de profondes inquiétudes. Le Caire considère la démarche éthiopienne comme unilatérale, contraire au droit international et menaçant ses droits historiques sur les ressources hydriques. Le ministère égyptien de l’Eau et de l’Irrigation a qualifié l’achèvement du GERD d’illégal et réaffirmé sa détermination à défendre ses prérogatives sur le fleuve.

Ces divergences s’enracinent dans des accords hérités de l’époque coloniale, notamment ceux de 1929 et 1959, qui réservaient à l’Égypte et au Soudan la majeure partie des eaux du Nil, sans tenir compte des autres pays du bassin. L’Éthiopie, contestant cette répartition, plaide pour un partage plus équitable. Mais ses propositions n’ont pas été acceptées par Le Caire et Khartoum, laissant planer une incertitude dangereuse sur l’exploitation future du barrage et les relations interétatiques.

Le projet a connu des périodes de tension, notamment en 2012 et 2013, lorsqu’un panel international d’experts – réunissant représentants des pays concernés et spécialistes étrangers – a recommandé des modifications techniques sur la conception et la structure. En 2020, le premier remplissage partiel du réservoir avait déjà provoqué un vif regain de tensions et fait craindre un conflit armé régional. Les années suivantes, malgré plusieurs cycles de négociations sous l’égide d’organisations internationales, aucun accord juridiquement contraignant n’a vu le jour.

Aujourd’hui, alors que le barrage est achevé, le Premier ministre éthiopien Abiy Ahmed se dit prêt à coopérer avec ses voisins. Il affirme que la croissance de son pays ne doit pas se faire au détriment de l’Égypte et du Soudan, et promeut l’idée d’« un progrès commun, une énergie commune et une eau commune ». Le Caire, de son côté, juge ces paroles purement déclaratives, en l’absence de mesures concrètes.

Les enjeux sont considérables : des dizaines de millions de personnes dépendent directement du régime hydrique du Nil. Durant la phase de remplissage, une baisse temporaire du débit pourrait toucher plusieurs millions d’agriculteurs égyptiens et réduire la production hydroélectrique de 25 à 40 %, ce qui représenterait moins de 3 % de la production électrique totale du pays. Toutefois, à long terme, une gestion coordonnée du GERD pourrait bénéficier à tous : régulation des crues, réduction de l’évaporation au lac Nasser, prolongation de la durée de vie des barrages égyptiens et soudanais.

Mieux encore, une exploitation concertée des ressources hydrauliques du Nil pourrait devenir un moteur puissant de développement socio-économique pour douze pays d’Afrique de l’Est et du Nord, stimulant l’industrie, l’agriculture et améliorant les conditions de vie de plus de 200 millions d’habitants.

En définitive, la mise en service du GERD place la coopération régionale au rang de priorité stratégique. Sans coordination étroite et mécanismes de régulation acceptés par tous, les risques d’escalade demeurent. Mais avec un dialogue ouvert et une confiance mutuelle, ce projet pourrait devenir non pas une source de discorde, mais le socle d’une prospérité partagée pour l’ensemble du bassin du Nil.

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