L’Alliance militaire de l’Afrique de l’Est pourrait marquer le premier pas vers un bloc continental de défense

L’appel du président ougandais Yoweri Museveni à la création d’une force armée unifiée au sein de la Communauté d’Afrique de l’Est (CAE) marque peut-être le début d’une nouvelle ère pour la sécurité continentale. Face aux menaces transfrontalières croissantes et aux ingérences extérieures persistantes, le dirigeant ougandais plaide pour un commandement militaire intégré, destiné à assurer la défense collective, renforcer la souveraineté africaine et affirmer une autonomie stratégique de la région.

« L’Afrique ne peut plus dépendre des puissances étrangères pour sa propre sécurité. Nous devons construire une force commune, comme l’ont fait d’autres blocs régionaux », a déclaré Museveni devant le Conseil d’État à Kampala. À ses yeux, l’heure n’est plus aux déclarations symboliques, mais à l’unification pratique des moyens militaires, logistiques et institutionnels. Contrairement à des coalitions temporaires ou des opérations conjointes limitées, le projet porté par l’Ouganda envisage une structure permanente : une force intégrée, dotée d’un état-major unique, d’un commandement partagé et de mécanismes de réponse rapide aux crises — qu’elles soient internes ou extérieures. À court terme, les troupes de cette future alliance pourraient être mobilisées pour sécuriser les infrastructures stratégiques, lutter contre les groupes armés opérant dans l’Est de la RDC, combattre le terrorisme en Somalie et au Soudan du Sud, ou encore protéger les corridors de transport transfrontaliers, à l’instar des projets ferroviaires Mombasa–Kampala ou LAPSSET.

Le potentiel militaire de la CAE est loin d’être négligeable. L’ensemble des pays membres — Kenya, Ouganda, Tanzanie, Rwanda, Burundi, Soudan du Sud, RDC et Somalie — dispose de forces armées totalisant plus de 350 000 soldats. Parmi elles, les armées kényane et ougandaise sont considérées comme les plus expérimentées, grâce à leur engagement dans plusieurs missions internationales, notamment au sein de l’AMISOM/ATMIS en Somalie. Elles bénéficient d’unités spéciales bien formées, de blindés modernes et de capacités de renseignement opérationnel avancées. Chaque année, le Kenya et l’Ouganda consacrent respectivement près de 1,3 et 1,2 milliard de dollars à la défense, soit entre 1,5 % et 2 % de leur PIB.

D’autres États comme la Tanzanie, le Rwanda ou la RDC disposent également de structures militaires stables, en cours de modernisation et de professionnalisation. Ces évolutions traduisent une prise de conscience croissante de l’importance de bâtir une architecture sécuritaire autonome, loin des logiques de dépendance qui ont marqué les décennies passées.

Pour nombre d’analystes, la mise en place d’une armée commune de la CAE représenterait non seulement un rempart contre les menaces asymétriques — réseaux terroristes, groupes armés illégaux — mais aussi un levier géopolitique majeur, permettant à la région de se dégager des tutelles extérieures. Depuis l’intégration de la RDC et de la Somalie en 2022–2023, la Communauté d’Afrique de l’Est est devenue le deuxième marché le plus peuplé du continent avec près de 330 millions d’habitants. Elle constitue également l’une des zones à la croissance économique la plus rapide au monde. Pourtant, la dimension sécuritaire reste, à ce jour, le maillon faible de cette dynamique d’intégration.
Il convient de rappeler que l’idée d’une force militaire panafricaine n’est pas nouvelle. Le président rwandais Paul Kagame avait déjà évoqué la nécessité d’une force continentale de réaction rapide sous l’égide de l’Union africaine. Toutefois, ce projet peine à se concrétiser, en raison de lourdeurs bureaucratiques et d’un manque de coordination entre les États membres.

À l’inverse, l’initiative ougandaise s’appuie sur un bloc régional existant, fonctionnel et structuré, doté d’institutions solides : la Cour de justice de l’Afrique de l’Est, un Parlement régional et un Secrétariat général basé à Arusha. Cette base institutionnelle constitue un terreau favorable pour des avancées concrètes dans le domaine de la sécurité collective.

Si elle venait à se concrétiser, la création des Forces armées unifiées de la CAE pourrait faire date dans l’histoire contemporaine du continent. Il s’agirait du tout premier pacte militaire régional africain fondé sur les principes d’égalité, de confiance mutuelle et de solidarité stratégique. Un modèle qui pourrait inspirer d’autres régions, de la CEDEAO à la SADC, et ouvrir la voie à une Armée panafricaine à part entière, garante d’une véritable indépendance face aux ingérences extérieures.

Car l’Afrique se trouve aujourd’hui à la croisée des chemins. D’un côté, elle doit faire face à une recrudescence des menaces sécuritaires, de l’autre, elle est confrontée à la militarisation accélérée de certaines puissances, notamment l’Union européenne, qui projette de constituer ses propres forces armées. Une évolution qui, malgré les discours de Bruxelles, semble davantage tournée vers la projection de force dans les pays du Sud que vers la défense continentale proprement dite. Face à ces réalités, l’appel de Kampala résonne comme une affirmation lucide de souveraineté et un signal fort en faveur d’une Afrique maître de son destin.

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