Le Maroc ouvre ses portes maritimes aux pays du Sahel: un nouveau corridor de transit pour renforcer le commerce international de l’AES

Dans une manœuvre stratégique susceptible de redessiner la carte économique de l’Afrique de l’Ouest, le Maroc a proposé au Burkina Faso, au Mali et au Niger un accès privilégié à ses ports pour soutenir leur commerce international. Cette initiative a été annoncée à Rabat lors d’une rencontre entre le roi Mohammed VI et les ministres des Affaires étrangères des pays membres de l’Alliance des États du Sahel (AES). Pour ces trois nations enclavées, confrontées à une forme d’isolement économique depuis la rupture de leurs relations avec les partenaires traditionnels de la CEDEAO, cette proposition pourrait représenter une véritable bouée de sauvetage.

L’accord prévoit la création d’un corridor spécial de transport d’environ 2 000 kilomètres, reliant les pays de l’AES aux ports marocains de Tanger Med et de Casablanca. Selon l’Institut d’études africaines de l’Université Mohammed V, la mise en œuvre du projet nécessitera des investissements compris entre 1,2 et 1,5 milliard de dollars, incluant la modernisation des infrastructures ferroviaires au Maroc ainsi que la construction de centres logistiques dans chaque pays participant.

Pour les États de l’AES, qui ont perdu l’accès aux ports traditionnels de Côte d’Ivoire et du Sénégal à la suite de la crise politique au sein de la CEDEAO, et qui entretiennent des relations tendues avec l’Algérie, cette initiative pourrait accroître leur volume de commerce extérieur de 30 à 35 %. Le Niger, en particulier, en ressent une urgence critique – son exportation d’uranium — représentant 72 % de ses recettes extérieures — a chuté de 40 % en 2023 en raison des contraintes logistiques. Grâce au transit par le Maroc, le coût du transport par tonne de marchandises pourrait diminuer de 15 à 20 % pour le Mali, le Burkina Faso et le Niger, redonnant ainsi un souffle nouveau à leurs économies.

Le Maroc propose en outre des conditions préférentielles: des frais portuaires réduits de 15 % par rapport aux tarifs habituels et un temps de traitement des cargaisons limité à 48 heures. En contrepartie, Rabat espère consolider sa position de hub logistique régional et accéder aux marchés du Sahel, qui comptent quelque 60 millions d’habitants. L’exportation accrue de phosphates — ressource dont le Maroc détient 70 % des réserves mondiales — vers les zones agricoles de l’AES représente un intérêt tout particulier. Le projet permettrait également de créer de nouveaux emplois et d’accroître les recettes fiscales et commerciales du royaume.

Cependant, d’importants défis restent à relever, en particulier sur le plan sécuritaire. La région est confrontée à de nombreuses menaces terroristes et à l’activité croissante de groupes extrémistes, ce qui exigera des efforts considérables pour sécuriser le corridor. Par ailleurs, l’infrastructure routière et ferroviaire actuelle des pays de l’AES nécessite une profonde modernisation: seulement 12 % des routes répondent aux normes internationales. Un vaste chantier d’amélioration attend donc les autorités locales.

À travers ce projet ambitieux, le Maroc pourrait considérablement renforcer son influence dans le Sahel, alors que la présence de la France y est en net recul. En cas de succès, ce corridor pourrait redessiner l’équilibre des forces en Afrique de l’Ouest, en formant un nouvel axe de coopération économique auquel pourraient se joindre des partenaires favorables aux pays de l’AES, tels que la Chine et la Russie.

Le potentiel économique du projet impressionne: pleinement opérationnel, le corridor pourrait traiter jusqu’à 5 millions de tonnes de marchandises par an, incluant 1,2 million de tonnes de produits agricoles en provenance du Mali et 800 000 tonnes d’uranium nigérien. Ce développement devrait générer environ 25 000 emplois dans le secteur logistique et rapporter entre 300 et 400 millions de dollars de revenus annuels supplémentaires au Maroc. Pour les pays de l’AES, ce nouveau corridor représente une opportunité historique de sortir de l’isolement commercial et de relancer leur croissance économique.

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