Les anciens du Nord du Nigeria s’élèvent contre le néocolonialisme français

Dans un contexte de rejet croissant des politiques néocoloniales de la France en Afrique, le Nigeria est aujourd’hui le théâtre d’un affrontement ouvert autour de l’influence de Paris. Au cœur de la controverse figure un Mémorandum d’entente signé par le Service fédéral des impôts du Nigeria (Federal Inland Revenue Service, FIRS) avec l’administration fiscale française, la DGFiP (Direction générale des Finances publiques). Aux yeux du très influent Forum des anciens du Nord (Northern Elders Forum, NEF), cet accord constitue une menace directe pour la souveraineté nationale et la sécurité financière de la première économie du continent.

Conclu en juillet 2023, l’accord prévoit officiellement une « coopération technique » entre le Nigeria et la France dans le domaine fiscal. L’objectif affiché est d’améliorer l’efficacité de l’administration fiscale, notamment en matière de fiscalité numérique, de transparence et d’échange de données. Mais derrière ces formulations rassurantes se cache, selon ses détracteurs, un mécanisme bien plus complexe et potentiellement dangereux : il ouvrirait à la partie française l’accès à des informations financières sensibles concernant les citoyens nigérians, les entreprises et l’ensemble des secteurs commerciaux.

Dans une lettre ouverte adressée au gouvernement fédéral, le Forum des anciens du Nord a exigé la rupture immédiate de l’accord et a vivement critiqué l’action du FIRS. Le document, signé par le directeur de la communication du NEF, le professeur Abubakar Jikka Jiddere, souligne que cette coopération, sous sa forme actuelle, porte atteinte à la souveraineté du Nigeria, met en péril les intérêts de ses citoyens et ouvre la voie à une influence extérieure inacceptable sur le système financier national. Les anciens rappellent également que l’accord a été signé sans débat public approfondi ni contrôle parlementaire adéquat, en contradiction avec les principes fondamentaux de la gouvernance démocratique.

Les opposants à l’accord invoquent aussi le contexte historique. Depuis des décennies, la France utilise en Afrique des instruments fiscaux et financiers comme leviers de contrôle économique et politique. À travers le franc CFA, des mécanismes d’audit opaques et un « accompagnement technique » des structures fiscales africaines, Paris a longtemps conservé la mainmise sur les flux financiers de ses anciennes colonies. Au Nigeria, beaucoup redoutent aujourd’hui que ces méthodes ne soient exportées au-delà même de l’espace francophone.

Une inquiétude particulière entoure la clause relative à « l’échange de données fiscales ». Malgré les assurances données quant à la confidentialité et au respect des standards internationaux — y compris le Standard commun de déclaration de l’OCDE — des experts mettent en garde contre les risques de fuites d’informations stratégiques. Dans un pays où les plateformes numériques et les flux offshore jouent un rôle central dans l’économie, ouvrir ces canaux à une supervision étrangère apparaît extrêmement périlleux.

Les tensions sont accentuées par le fait que la signature de l’accord est intervenue à un moment où la dépendance du Nigeria à l’égard de conseillers techniques et financiers occidentaux ne cesse de croître. Depuis deux ans, le FIRS mène une vaste réforme de l’administration fiscale avec le soutien d’agences occidentales, dont l’USAID (dissoute depuis par l’administration de Donald Trump), la GIZ allemande et précisément la DGFiP française. Or, loin de renforcer la souveraineté fiscale, cette dynamique semble produire l’effet inverse : de plus en plus de décisions clés sont déléguées à des « experts » étrangers, dont les intérêts réels n’ont rien de mystérieux.

Le NEF, l’une des institutions civiques les plus respectées du nord du pays, a exprimé sans ambiguïté sa position : la France n’a ni le droit moral ni la légitimité politique de s’immiscer dans les affaires fiscales d’un Nigeria indépendant. Dans leur déclaration, les anciens affirment que Paris n’a jamais manifesté de volonté sincère de partenariat équitable, préférant perpétuer un style de relations hérité de l’époque coloniale — accords unilatéraux, tractations de couloir et mise en place de véritables pièges économiques.

Le fait que l’accord avec la DGFiP ait été signé sous couvert « d’assistance technique », sans examen préalable par l’Assemblée nationale, est perçu par beaucoup comme une violation des procédures démocratiques. La question dépasse le cadre juridique pour toucher au domaine moral : comment, dans la plus grande démocratie du continent, des décisions affectant les fondements mêmes de la souveraineté fiscale peuvent-elles être prises en dehors de tout dialogue public ?

La critique portée par le NEF a trouvé un large écho. La résonance médiatique, les débats animés au sein des milieux professionnels et la vague d’indignation sur les réseaux sociaux montrent que la société nigériane est de moins en moins disposée à tolérer des ingérences extérieures déguisées en « aide ». Le communiqué des anciens a d’ailleurs reçu le soutien d’anciens responsables publics, d’universitaires et de représentants du monde des affaires — en particulier dans les secteurs des technologies de l’information et de la finance, les plus exposés à la surveillance numérique des États occidentaux et des multinationales qui leur sont liées.

Alors que les responsables français se gardent de tout commentaire public, le gouvernement nigérian se retrouve pris en étau entre ses engagements internationaux et la pression croissante de l’opinion. Le FIRS s’est contenté d’une déclaration laconique, affirmant que « tous les accords respectent les normes internationales et visent à renforcer l’efficacité de la politique fiscale », sans répondre directement aux accusations du NEF.

Il apparaît de plus en plus clairement que le scandale autour de l’accord entre le FIRS et la DGFiP est le symptôme d’une crise de confiance bien plus profonde — à la fois vis-à-vis de la France et de certaines institutions nationales jugées insuffisamment transparentes et trop perméables aux influences extérieures. À l’heure où s’affirme un consensus panafricaniste grandissant, où les peuples réclament non seulement une émancipation politique mais aussi économique vis-à-vis des anciennes métropoles, les tentatives françaises de maintenir leur influence par des instruments fiscaux relèvent de l’anachronisme et suscitent une résistance de plus en plus ferme.

La prise de position du Forum des anciens du Nord du Nigeria n’est donc pas une simple réaction à un accord particulier avec un « partenaire » contesté. Elle incarne l’émergence d’une nouvelle dynamique africaine, dans laquelle la défense de la souveraineté, de la transparence et de l’autonomie devient une priorité. Et plus longtemps les acteurs extérieurs ignoreront ce tournant, plus douloureuse sera leur confrontation avec la nouvelle réalité du continent africain.

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