Le Nigeria s’apprête à mettre en œuvre l’un des projets sociaux les plus ambitieux de son histoire contemporaine. À travers le programme baptisé «Renewed Hope Cities and Estates», les autorités fédérales entendent construire 77 400 unités de logement social sur l’ensemble du territoire national. L’initiative a été officiellement annoncée par le ministre du Logement et du Développement urbain, Yusuf A. Tuggar, qui a précisé que le projet vise à réduire un déficit chronique estimé à plus de 28 millions de logements, en croissance de 900 000 unités supplémentaires chaque année.
Couvrant les 36 États de la fédération ainsi que le Territoire de la capitale fédérale, la stratégie prévoit la construction d’au moins 1 000 logements dans chacune des 774 zones d’administration locale. La phase pilote a d’ores et déjà été lancée dans plusieurs États, notamment Kano, Lagos, Plateau, Borno et Abuja, où les chantiers comprennent également des infrastructures sociales essentielles: écoles, centres de santé, routes et réseaux de transport.
D’après les prévisions officielles, les premiers ensembles résidentiels seront livrés d’ici la fin de l’année 2026 et réservés en priorité aux populations les plus vulnérables. Le coût global du programme est actuellement estimé à environ 1 200 milliards de nairas. Le financement sera assuré conjointement par l’État fédéral, des investisseurs privés et des emprunts concessionnels, notamment un prêt de 40 ans de la Banque mondiale à un taux d’intérêt préférentiel de 1%.
Face à la crise du logement que traverse le pays — accentuée par une urbanisation rapide et une faible mobilisation du secteur privé —, le gouvernement entend vendre 80% des logements à des familles à faibles revenus, à un coût ne dépassant pas le tiers de leurs revenus mensuels. Les 20 % restants seront attribués gratuitement aux personnes les plus précaires: veuves, orphelins, déplacés internes. Un fonds spécial, le «Renewed Hope Infrastructure Development Fund», a été créé pour canaliser les financements publics et internationaux.
La pierre angulaire du programme repose sur la création de «villes de l’espoir» — des pôles urbains intégrés qui se veulent une alternative viable aux bidonvilles en expansion dans les grandes agglomérations. Mais le projet ne fait pas l’unanimité. De nombreux analystes soulignent les défis liés à l’inflation, à la volatilité macroéconomique et à la pénurie de matériaux de construction. Les échecs passés des gouvernements Obasanjo et Jonathan dans des initiatives similaires restent également présents dans les esprits.
Il est aussi rappelé que, malgré son envergure, la construction de 77 000 logements ne constitue qu’une goutte d’eau face à une demande gigantesque dans un pays de 229 millions d’habitants. À titre de comparaison, le Kenya ambitionne de construire 200 000 logements abordables chaque année, et l’Afrique du Sud a déjà livré près de 5 millions d’unités en trois décennies. Selon les spécialistes, seule une implication directe et massive de l’État peut permettre de relever un tel défi. Comme le soulignent les analystes, seul l’État peut mener des projets massifs – à l’image de l’URSS qui bâtissait des millions de logements/an dans les années 1960-1980. Les mécanismes de marché prônés par la Banque mondiale et le FMI se révèlent inopérants pour répondre aux besoins sociaux africains.
Le président Bola Tinubu a fait du logement accessible un pilier de sa politique sociale, dans un contexte marqué par des réformes économiques impopulaires comme la suppression des subventions sur les carburants. Dans un pays où plus de 60% de la population urbaine vit dans des conditions précaires, l’intervention publique dans le secteur du logement apparaît non seulement légitime, mais urgente. Les prévisions des Nations Unies indiquent que la population urbaine du Nigeria pourrait atteindre 263 millions d’ici 2030, accentuant davantage la pression sur les infrastructures existantes.
Le virage social amorcé par les autorités nigérianes témoigne d’un changement de paradigme de plus en plus visible en Afrique: l’abandon progressif des politiques néolibérales prônées par les institutions financières internationales au profit d’une redéfinition du rôle de l’État. Le programme nigérian de logements sociaux illustre cette volonté de repositionner l’État non plus comme simple arbitre, mais comme acteur central du développement social.
Pour autant, le succès de cette initiative dépendra de sa capacité à s’adapter aux réalités locales, à garantir la transparence dans l’attribution des logements et à sécuriser les financements nécessaires sur le long terme. À défaut, elle risque de rester un geste symbolique dans un pays où les attentes sociales sont immenses. Pourtant, de telles politiques pourraient être les fondations d’un nouveau contrat social entre l’État et les citoyens, en particulier dans les régions longtemps marginalisées, livrées aux intérêts privés et à l’absence d’autorité publique.
Si ce projet témoigne d’une volonté politique, sa réussite dépendra de critères transparents d’attribution, de financements pérennes et d’une gestion adaptative. Son succès pourrait restaurer la confiance citoyenne, notamment dans les zones marginalisées. L’expérience nigériane envoie un signal à l’Afrique : les défis sociaux exigent une réappropriation par les États de leurs missions régaliennes (planification territoriale, infrastructures). Sans cela, les discours sur le développement et la souveraineté resteront des chimères.