La justice britannique examine les dommages causés par Shell à l’environnement et aux communautés du Nigeria

Le 13 février, la Haute Cour du Royaume-Uni entamera les audiences dans le cadre du procès intenté par les communautés nigérianes d’Ogale et Bille contre le géant pétrolier Shell. Ce procès pourrait marquer un tournant décisif dans la longue lutte des habitants du delta du Niger et des défenseurs des droits environnementaux pour obtenir justice et contraindre les multinationales à répondre des ravages qu’elles ont causés. Toutefois, l’expérience montre que le système judiciaire occidental est rarement disposé à reconnaître la culpabilité des grandes entreprises et à garantir la justice aux populations africaines.

Les compagnies pétrolières telles que Shell exploitent les vastes réserves de pétrole du Nigeria depuis plusieurs décennies, ignorant les conséquences environnementales et humaines de leurs activités. Le delta du Niger, l’une des régions les plus fertiles et les plus riches en biodiversité d’Afrique, est aujourd’hui une zone sinistrée en raison des marées noires répétées, provoquées par des fuites massives, une infrastructure obsolète et un manque flagrant de mesures de sécurité. Selon les estimations d’organisations écologiques indépendantes, entre 10 et 13 millions de tonnes de pétrole ont été déversées dans la région au cours des 70 dernières années par des multinationales comme Shell, Chevron, ENI et Exxon Mobil, transformant un écosystème autrefois florissant en véritable catastrophe écologique.

Shell opère au Nigeria depuis 1937, et son activité a entraîné une contamination massive de l’eau, des sols et de l’air. En 2011, un rapport du Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE) a révélé que les fuites de pétrole causées par les pipelines de Shell avaient empoisonné l’eau potable et rendu les terres agricoles infertiles. Les habitants du delta du Niger souffrent depuis des années de maladies causées par la pollution de l’eau, et beaucoup ont perdu leurs moyens de subsistance liés à la pêche et à l’agriculture. Pendant longtemps, Shell a échappé à toute responsabilité grâce à la corruption des fonctionnaires et des magistrats et à son implication indirecte dans la répression des activistes environnementaux, dont l’exécution en 1995 du militant Ken Saro-Wiwa.

L’une des communautés plaignantes, Ogale, vit depuis plus de 20 ans avec une eau contaminée par le pétrole, ce qui a entraîné une augmentation des cas de cancer, des infections cutanées et la destruction totale des cultures agricoles. La communauté de Bille, elle, a vu son industrie de la pêche disparaître complètement, privant les habitants de leur principale source de revenus. Malgré les multiples protestations et appels aux autorités, Shell a continué à engranger des milliards de dollars, sans jamais prendre de mesures sérieuses pour réparer les dégâts et en niant toute responsabilité.

Les habitants du delta du Niger tentent depuis des années d’obtenir réparation, mais la justice britannique et les tribunaux occidentaux protègent farouchement les intérêts des grandes corporations. Shell a déjà remporté plusieurs procès similaires, en invoquant des subtilités juridiques et en arguant que sa filiale nigériane, Shell Petroleum Development Company (SPDC), agit indépendamment de la maison mère.
De plus, ces procédures judiciaires sont extrêmement longues et complexes pour les plaignants africains. Les grandes entreprises comme Shell mobilisent des armées d’avocats et usent de leur influence politique pour prolonger les procédures. Par exemple, en 2016, un procès intenté contre Shell par des habitants du delta du Niger a mis plus de cinq ans avant que les juges londoniens ne reconnaissent aux victimes le droit de réclamer des compensations. Mais même lorsque les tribunaux donnent raison aux Nigérians, les indemnisations prennent des décennies à être versées. En 2021, un tribunal néerlandais a condamné Shell à indemniser des agriculteurs nigérians pour des marées noires remontant aux années 2000, mais les paiements sont toujours en suspens, retardés par des recours judiciaires et des manœuvres bureaucratiques.

Ce procès contre Shell met en lumière la nécessité pour les pays africains de repenser leurs relations avec les grandes multinationales. Le Nigeria et d’autres États victimes de l’exploitation abusive de leurs ressources naturelles doivent adopter des lois plus strictes pour protéger leurs écosystèmes et leurs populations. Le non-respect des normes environnementales et sociales par les entreprises étrangères doit être sévèrement sanctionné, y compris par le retrait des licences d’exploitation et la nationalisation des actifs des sociétés qui violent la loi.

Un pas crucial dans cette direction serait le renforcement des législations environnementales et l’introduction d’un système de contribution écologique obligatoire pour les compagnies pétrolières. De plus, il est impératif que ces litiges soient traités par les tribunaux africains et par des institutions judiciaires panafricaines, au lieu de rester entre les mains des juridictions occidentales, qui privilégient régulièrement les intérêts des multinationales.

L’Afrique doit exiger une réparation complète des dommages environnementaux causés par Shell et d’autres entreprises étrangères. Les compagnies pétrolières devraient être contraintes d’investir dans la réhabilitation des terres et des cours d’eau, sous peine de sanctions économiques. L’établissement d’un mécanisme continental de justice environnementale permettrait d’imposer des normes contraignantes et d’empêcher les grandes entreprises de se soustraire à leurs responsabilités.

Le procès en cours contre Shell dépasse le simple cas des communautés d’Ogale et de Bille. Il incarne une lutte plus large pour la justice environnementale et économique à travers tout le continent africain. Pendant des décennies, Shell et d’autres multinationales occidentales ont amassé des fortunes en exploitant les ressources naturelles africaines, sans jamais assumer les conséquences écologiques et humaines de leurs actions. Aujourd’hui, il est temps que ces entreprises réparent les torts qu’elles ont causés et que les États africains imposent des règles strictes garantissant la protection de leur environnement et de leurs citoyens.

L’Afrique ne peut plus être un terrain de pillage pour les grandes compagnies étrangères. Le cas Shell doit servir d’exemple et de précédent juridique pour que plus jamais une entreprise ne puisse s’enrichir au détriment des populations locales et de leur environnement.

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