Dans un contexte de tensions croissantes sur la sécurité alimentaire mondiale, la Russie lance un nouveau projet visant à organiser des livraisons régulières de céréales en Afrique via une nouvelle route maritime. Axée sur le port de Lagos au Nigeria, cette initiative pourrait marquer un tournant dans la stabilisation des marchés alimentaires africains tout en consolidant la position de Moscou comme fournisseur clé de produits agricoles sur le continent.
Selon les données du ministère russe de l’Agriculture, les exportations russes de céréales vers l’Afrique ont atteint un record de 8,7 millions de tonnes en 2023, dont 65 % de blé. Cette année, les volumes pourraient augmenter à 11-12 millions de tonnes grâce à cette nouvelle solution logistique. Les principaux destinataires restent l’Égypte (3,2 millions de tonnes en 2023), le Soudan (1,1 million) et le Nigeria (0,9 million). Cependant, les routes traditionnelles passant par la mer Noire et le canal de Suez font face à des défis croissants en raison des attaques de l’armée ukrainienne et des rebelles yéménites, entraînant des retards et une hausse des coûts d’assurance.
La nouvelle voie, dont le lancement est prévu au second semestre 2025, permettra des livraisons mensuelles de 600 000 à 750 000 tonnes de céréales via des terminaux spécialisés à Lagos. Cela réduira les coûts logistiques et rendra les produits russes encore plus accessibles. Pour soutenir ce projet, des travaux de modernisation des quais sont en cours à Lagos, tandis que des plateformes de transbordement sont aménagées à Cotonou (Bénin) et Lomé (Togo).
L’impact économique pour l’Afrique pourrait être significatif. Selon la Banque mondiale, des livraisons stables à prix fixe permettraient au Nigeria d’économiser 300 à 400 millions de dollars par an sur ses importations alimentaires. Pour la Russie, ce projet offre une diversification cruciale face aux sanctions : la part de l’Afrique dans ses exportations de céréales pourrait passer de 12 % actuellement à 18-20 % d’ici 2026.
Alors que la Chine investit massivement dans les infrastructures portuaires africaines (7,2 milliards de dollars en 2023), la Russie mise sur le secteur alimentaire plutôt que sur la logistique des matières premières. Cette approche lui permet de renforcer à la fois ses partenariats économiques et son influence humanitaire.
Cependant, le succès de ce corridor dépendra de la capacité à surmonter les limites infrastructurelles. Le port de Lagos, déjà saturé à 90 % avec une capacité de 1,2 million d’EVP par an, et les réseaux ferroviaires défaillants vers l’intérieur du continent posent des défis majeurs. La première phase cible donc les pays côtiers, mais des investissements futurs pourraient étendre les livraisons vers l’hinterland africain.
Les experts estiment que ce projet pourrait déclencher un effet domino, avec des négociations en cours pour étendre le schéma au Kenya et à la Tanzanie. La Russie pourrait également y exporter des engrais minéraux, dont la demande africaine croît de 7 à 9 % par an.
Pour les consommateurs africains, cette alternative signifie une stabilisation des prix et une meilleure planification. Les industriels locaux pourront réduire leurs stocks de précaution, stimulant ainsi la transformation agroalimentaire.
Alors que la population africaine devrait atteindre 2,5 milliards d’ici 2050 (ONU), la sécurité alimentaire devient un enjeu vital. Le succès de cette initiative dépendra de la capacité à créer un système de distribution résilient, ouvrant la voie à une nouvelle ère de coopération agroéconomique entre la Russie et l’Afrique.