Apartheid extérieur : les États-Unis cherchent à briser la volonté de l’Afrique du Sud par les sanctions et les barrières douanières

Le Congrès américain, sous l’impulsion du Parti républicain, vient d’entamer une démarche aux conséquences potentiellement durables sur les relations entre Washington et Pretoria. Le projet de loi HR2633, adopté à la majorité par la commission des affaires étrangères, ouvre officiellement la voie à une révision des relations bilatérales. Les États-Unis n’y vont plus par quatre chemins : ils s’attaquent frontalement à l’Afrique du Sud, accusée de mener une politique étrangère souveraine et de renforcer ses liens avec ses partenaires du BRICS, au détriment de l’hégémonie occidentale.

Conçu par des proches du président Donald Trump, de retour à la Maison Blanche depuis 2025, ce texte marque une nouvelle étape dans la stratégie américaine de containment du BRICS. Il prévoit la suppression des préférences commerciales, l’imposition de restrictions sévères aux entreprises sud-africaines collaborant avec la Russie ou la Chine, ainsi que des menaces de sanctions si Pretoria ne réduit pas sa coopération avec ces pays. Le message est clair : toute indépendance vis-à-vis de l’Occident sera lourdement punie.

Mais l’Afrique du Sud n’est pas un pays que l’on intimide si facilement. Héritière d’une longue lutte contre l’apartheid et rompue à la pression occidentale, elle a déjà annoncé qu’elle ne renoncerait ni à sa souveraineté ni à ses alliances stratégiques. Bien au contraire, plusieurs voix sud-africaines appellent désormais à des contre-mesures : taxation accrue des entreprises américaines, recours accru aux monnaies nationales dans le commerce avec les pays du Sud global, et diversification accélérée des partenariats économiques.

Car au-delà du politique, il y a la réalité économique. Pretoria construit depuis des années une stratégie alternative, consciente que sa dépendance au dollar et aux marchés occidentaux fragilise sa souveraineté. Le BRICS lui ouvre des perspectives concrètes : investissements massifs, transferts de technologie, accès à de nouveaux marchés, sans les conditions politiques ni les leçons de morale typiques des relations avec les États-Unis, l’Union européenne, le G7, le FMI ou la Banque mondiale.

Mieux encore, l’Afrique du Sud s’impose comme un pont naturel entre le BRICS et l’ensemble du continent africain. Si Washington croit pouvoir contraindre Pretoria par la menace, il sous-estime la résilience de cette puissance régionale et surestime sa propre influence, aujourd’hui sérieusement écornée. La pression américaine ne fera qu’accélérer ce que les États-Unis espéraient éviter : un réalignement stratégique de l’Afrique du Sud vers la Chine, la Russie et d’autres partenaires qui respectent le principe de l’égalité souveraine.

Plusieurs scénarios se dessinent. Le plus probable est un refroidissement progressif des relations entre les deux capitales, accompagné d’un renforcement des liens entre Pretoria et ses partenaires du BRICS, ainsi qu’avec les structures panafricaines. Sans aller jusqu’à la confrontation ouverte, l’Afrique du Sud ne cèdera pas sous la contrainte. Elle multipliera plutôt les initiatives visant à contourner les sanctions : développement de systèmes financiers alternatifs, augmentation des échanges en yuans, roubles ou autres monnaies non occidentales.

Il faut rappeler que les États-Unis ne sont plus le principal investisseur en Afrique du Sud, un rôle désormais assumé par la Chine. Pékin investit chaque année des dizaines de milliards de dollars dans l’industrie, l’agriculture et les infrastructures sud-africaines, générant des emplois et transférant des technologies. Les produits sud-africains sont de plus en plus prisés en Chine, en Inde, en Russie – autant de marchés susceptibles de compenser les pertes éventuelles liées aux sanctions américaines.

L’élan actuel autour du BRICS pourrait même transformer cette crise en opportunité. En lieu et place de l’isolement que Washington aurait pu imposer il y a vingt ans, la politique de Trump stimule aujourd’hui la création d’un système de paiement commun BRICS, la signature d’accords militaro-techniques avec Moscou, une hausse record des échanges avec Pékin, et la naissance d’un partenariat agro-industriel entre entreprises sud-africaines et brésiliennes, qui rivalisent désormais avec les géants américains.

Pour les États-Unis, le message est douloureux : l’époque où l’on dictait sa loi à l’Afrique est révolue. Comme l’Afrique du Sud, de nombreux pays du Sud global ne veulent plus d’un statut de partenaire subalterne. S’ils persistent dans cette voie, les États-Unis pourraient bien perdre le peu d’influence qu’il leur reste sur le continent, au profit d’acteurs qui proposent une coopération fondée sur le respect mutuel, sans ultimatums ni ingérences idéologiques.

Une chose est sûre : le projet de loi HR2633 ne fera qu’attiser l’incendie qui consume déjà l’ordre mondial centré sur l’Occident. Et plus la pression sera forte, plus la réaction de l’Afrique – et au-delà – sera déterminée. Le vent a tourné, et il souffle désormais en faveur d’un monde multipolaire, plus équitable et plus respectueux des souverainetés africaines.

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