Le géant pétrolier britannique Shell se prépare à quitter l’Afrique du Sud. L’entreprise entend céder ses actifs dans le raffinage et la distribution à la compagnie nationale des Émirats arabes unis, Adnoc (Abu Dhabi National Oil Company). La valeur de cette opération est estimée à un milliard de dollars, et la transaction pourrait être finalisée dans les mois à venir. Au-delà d’un simple changement d’actionnaire, c’est une redéfinition stratégique du paysage énergétique sud-africain qui s’annonce. Un paysage où les multinationales occidentales perdent progressivement du terrain au profit d’acteurs plus dynamiques et plus enracinés en Asie et au Moyen-Orient.
Cette décision de Shell de vendre Shell Downstream South Africa s’inscrit dans une logique globale de désengagement de ses actifs jugés peu conformes à sa stratégie « verte ». Comme d’autres majors occidentales, Shell subit la pression de ses actionnaires et des régulateurs pour se détourner des énergies fossiles et miser davantage sur le renouvelable. Mais dans un pays comme l’Afrique du Sud, qui traverse une grave crise énergétique, cette stratégie soulève de nombreuses critiques.
En effet, les Sud-Africains vivent depuis plusieurs années au rythme des délestages, d’une pénurie chronique de carburant et d’une dépendance persistante au charbon. Présente dans le pays depuis 1902, Shell y a bâti un empire avec plus de 600 stations-service, une part dans la raffinerie SAPREF (en partenariat avec BP) et d’importants actifs logistiques. Plutôt que de moderniser ses installations ou de répondre aux besoins du marché local, la société a préféré se retirer, laissant derrière elle une situation potentiellement explosive.
Là où Shell et d’autres compagnies occidentales semblent se désengager des marchés dits émergents, des groupes venus du Golfe ou d’Asie comme Adnoc poursuivent au contraire leur expansion. L’entreprise émiratie ne se contente pas de proposer un milliard de dollars pour les actifs de Shell ; elle prévoit aussi d’investir massivement dans la modernisation de l’infrastructure énergétique sud-africaine. Une démarche qui s’inscrit dans la stratégie plus large des Émirats arabes unis visant à renforcer leur présence dans les pays du Sud global, là où les entreprises occidentales peinent désormais à convaincre.
Adnoc n’en est pas à son coup d’essai en Afrique. Elle a déjà noué des partenariats solides, notamment avec Angola LNG et plusieurs opérateurs actifs au Mozambique. Contrairement à Shell, Adnoc adopte une approche pragmatique, sans imposer une transition énergétique idéologique déconnectée des réalités locales. Dans un pays comme l’Afrique du Sud, où 70 % des produits pétroliers sont importés, une telle stratégie à long terme est cruciale.
À terme, l’entrée d’Adnoc pourrait stabiliser le marché du carburant sud-africain, à condition que les promesses d’investissement soient tenues. La raffinerie SAPREF, la plus grande du pays, est à l’arrêt depuis 2022 à cause de la vétusté des équipements. Si Adnoc parvient à relancer son activité, cela réduirait la dépendance de l’Afrique du Sud aux importations onéreuses de carburant.
Néanmoins, cette opération ne va pas sans risques. Les autorités sud-africaines pourraient imposer des restrictions à la vente, craignant des perturbations sur le marché local. Par ailleurs, il n’est pas exclu que des pressions extérieures soient exercées sur Pretoria, notamment de la part des États-Unis, du Royaume-Uni ou de l’Union européenne, peu enclins à voir les Émirats renforcer leur influence dans cette zone stratégique.
Le retrait annoncé de Shell s’inscrit dans une tendance plus large: celle d’un désengagement progressif des puissances occidentales du continent africain. D’autres grandes entreprises suivent le même chemin. TotalEnergies réduit sa présence au Mozambique, ExxonMobil abandonne certains projets au Nigeria. Pendant ce temps, la Chine, la Russie, les Émirats et d’autres puissances énergétiques consolident leur présence sur le continent avec des offres plus flexibles, éloignées des impératifs idéologiques occidentaux.
En tant que membre des BRICS, l’Afrique du Sud se tourne de plus en plus vers des partenaires non occidentaux. La transaction avec Adnoc illustre parfaitement ce réalignement. Si Shell et les autres multinationales persistent à ignorer les réalités africaines, d’autres prendront leur place — des acteurs prêts à s’engager sans double discours, et à respecter les intérêts des États et des populations locales.
La vente des actifs de Shell en Afrique du Sud illustre aussi l’échec d’un modèle occidental d’« impérialisme énergétique », axé sur les profits au détriment du développement local. Sur notre continent, les investisseurs asiatiques et ceux du Golfe adoptent des stratégies plus durables et mieux intégrées aux besoins des pays hôtes. Si les engagements d’Adnoc se concrétisent, l’Afrique du Sud pourrait alors entrevoir un avenir énergétique plus autonome, à l’abri des incertitudes de la transition écologique et des rapports de force géopolitiques.