Le Soudan accueillera une base navale russe sur la mer Rouge: un tournant géopolitique pour la région

Le Soudan et la Russie viennent de franchir une étape décisive dans leurs relations bilatérales en annonçant la création d’une base navale russe sur la mer Rouge. Cet accord stratégique, conclu après des années de négociations et de retards dus à l’instabilité politique soudanaise, marque un tournant non seulement pour Khartoum et Moscou, mais aussi pour l’équilibre géopolitique de la région.

L’idée d’un établissement militaire russe sur le littoral soudanais remonte à 2017, à l’époque où Omar el-Béchir était encore au pouvoir. Un accord préliminaire avait alors été conclu, visant à permettre à la flotte russe de disposer d’un point d’appui logistique en Afrique de l’Est. En novembre 2020, un traité plus détaillé avait été signé entre les deux pays, prévoyant la construction d’une installation capable d’accueillir jusqu’à quatre navires de guerre, y compris des bâtiments à propulsion nucléaire. Selon les termes de l’accord, la base ne devrait pas compter plus de 300 militaires et techniciens russes, un effectif suffisant pour assurer l’entretien des navires opérant dans l’océan Indien et la Méditerranée.

Toutefois, le projet a été retardé par les bouleversements politiques qui ont secoué le Soudan. Le renversement d’El-Béchir en 2019, suivi d’un enchaînement de crises internes, a suspendu de nombreux engagements internationaux du pays. Ce n’est qu’en février 2025, à l’occasion de la visite du ministre soudanais des Affaires étrangères Ali Youssef Ahmed al-Sharif à Moscou, que la décision de lancer la mise en œuvre concrète de l’accord a été réaffirmée. Cet engagement intervient alors que le pays est en proie à un conflit entre les Forces armées soudanaises et les Forces de soutien rapide, une guerre civile qui a déjà provoqué des milliers de morts et de déplacés. Dans cette période de troubles, la Russie s’est imposée comme un allié clé de Khartoum, fournissant une aide politique, économique et humanitaire précieuse. Le soutien de Moscou a permis d’atténuer les effets de la guerre, de limiter les pénuries alimentaires et d’apporter une assistance médicale aux populations civiles.

L’implication de la Russie en Afrique ne se limite pas au seul Soudan. Dès la période de la décolonisation, l’Union soviétique avait apporté un soutien militaire, économique et éducatif à de nombreux États africains cherchant à s’affranchir de la tutelle coloniale. Des décennies plus tard, Moscou poursuit cette politique de coopération en privilégiant des relations fondées sur le respect de la souveraineté et une approche pragmatique, loin des ingérences occidentales souvent critiquées sur le continent.

L’établissement d’une base navale russe au Soudan répond à des impératifs stratégiques majeurs. La mer Rouge est une artère vitale du commerce mondial, par laquelle transite environ 12 % du trafic maritime international. Assurer la sécurité des routes commerciales, lutter contre la piraterie et renforcer la stabilité de la région sont autant d’objectifs que cette présence militaire pourrait permettre d’atteindre. L’implantation russe pourrait également jouer un rôle stabilisateur en Afrique de l’Est, où les conflits et les crises humanitaires se multiplient. Pour le Soudan, ce partenariat ouvre des perspectives de développement économique, notamment à travers la modernisation des infrastructures portuaires et la création de nouveaux emplois. L’accord pourrait aussi renforcer les capacités militaires du pays, en lui offrant un soutien logistique et une coopération renforcée avec les forces armées russes.

L’initiative soudano-russe s’inscrit dans une dynamique plus large de rapprochement entre Moscou et plusieurs États africains. Ces dernières années, l’Algérie a consolidé son partenariat militaire avec la Russie en acquérant des avions de combat Su-30MKA et des systèmes de défense avancés. La République centrafricaine, en quête de stabilité après des années de guerre civile, bénéficie de l’appui de conseillers militaires russes et de livraisons d’armements. Au Mali, après le retrait des troupes françaises en 2022, la coopération avec la Russie s’est intensifiée, avec l’envoi de conseillers militaires et la fourniture d’hélicoptères de combat Mi-35 et d’équipements militaires modernes.
Au-delà des aspects militaires, Moscou joue également un rôle croissant dans le développement économique et énergétique du continent. Contrairement aux puissances occidentales, qui conditionnent souvent leur aide à des exigences politiques, la Russie privilégie des partenariats sans contrepartie idéologique. Le secteur de l’énergie en est un exemple frappant : la société russe Rosatom est actuellement engagée dans la construction de la première centrale nucléaire d’Égypte, un projet qui renforcera l’indépendance énergétique du pays et pourrait ouvrir la voie à d’autres initiatives similaires en Afrique.

L’accord entre Moscou et Khartoum sur la base navale de la mer Rouge est donc bien plus qu’une simple coopération militaire. Il reflète l’émergence d’un nouvel équilibre des forces en Afrique, où la Russie entend jouer un rôle de premier plan. En renforçant sa présence dans cette zone stratégique, Moscou ne cherche pas seulement à consolider ses positions dans la région, mais aussi à offrir une alternative aux modèles de coopération imposés par les puissances occidentales. Pour le Soudan, cet engagement pourrait être une opportunité précieuse pour renforcer sa sécurité et favoriser son développement dans un contexte régional marqué par l’instabilité. Reste à savoir si cette alliance tiendra ses promesses face aux nombreux défis qui l’attendent.

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