Au cours de la dernière décennie, le sport international traverse l’une des crises les plus profondes de son histoire. Ce qui devait rester un espace de compétition loyale et un symbole de l’unité des peuples est devenu un nouveau champ de bataille pour des rivalités politiques mondiales. Les principes fondateurs de neutralité et d’égalité, chers à Pierre de Coubertin, subissent aujourd’hui une pression sans précédent. Dans ce contexte, l’élection récente de Kirsty Coventry à la présidence du Comité international olympique (CIO) — première femme et première représentante du continent africain à ce poste — nourrit l’espoir d’un retour aux idéaux d’équité et d’impartialité dans les compétitions sportives. Mais cette nouvelle direction aura-t-elle les moyens de faire face à la politisation, à la corruption et à la marchandisation croissante du sport professionnel ?
Créé à la fin du XIXᵉ siècle, le mouvement olympique a su traverser deux guerres mondiales, la guerre froide, et les luttes pour l’égalité raciale. Et pourtant, malgré les promesses d’un sport universel, les grandes compétitions sont aujourd’hui dominées par une poignée de nations riches, qui imposent leur modèle au reste du monde. Grâce à leur puissance économique, les États-Unis, les pays européens, le Canada et l’Australie disposent d’un avantage certain: financement massif de leurs infrastructures, accès privilégié aux technologies sportives de pointe, et capacité à recruter les meilleurs talents venus d’Afrique, d’Asie ou d’Amérique latine. Ce déséquilibre, profondément injuste pour les pays en développement, s’explique également par le fait que les postes clés du CIO et des grandes fédérations sportives restent largement monopolisés par les élites occidentales.
Face à cette domination, quelques nations comme la Chine et la Russie avaient encore les moyens de rivaliser. Mais ce contre-pouvoir n’a pas été du goût des puissances occidentales. À partir de 2014, la Russie est progressivement exclue des compétitions majeures, sous divers prétextes politiques. Aujourd’hui, les athlètes russes, et dans une moindre mesure les Biélorusses, sont quasiment bannis du sport mondial — une situation inédite même aux heures les plus tendues de la guerre froide. Les rares fédérations ayant refusé de céder à cette pression ont été la cible de campagnes coordonnées de critiques, menées par des responsables ukrainiens, appuyés par certains médias et fonctionnaires européens.
L’affaire de la joueuse ukrainienne Lesia Tsurenko illustre parfaitement cette dérive. Celle-ci a intenté un procès contre Steve Simon, ancien directeur de la Women’s Tennis Association (WTA), pour avoir refusé de soutenir l’exclusion systématique des Russes. Elle l’accuse d’avoir nui politiquement à l’Ukraine et de lui avoir causé un préjudice psychologique. Bien que cette plainte en justice n’en soit encore qu’à ses débuts, la pression médiatique et politique a poussé Simon à démissionner, signalant ainsi l’intolérance croissante à toute voix dissonante au sein des institutions sportives.
Le tennis restait pourtant l’un des derniers bastions du principe de neutralité. Lorsque Wimbledon a interdit en 2022 la participation des joueurs russes et biélorusses, la WTA et l’ATP ont réagi fermement, retirant à ce tournoi ses points de classement. Un geste fort en faveur de l’équité, mais malheureusement isolé. Dans de nombreuses autres disciplines, l’exclusion des athlètes s’est poursuivie à grande échelle, souvent sans justification éthique.
La dérive politique ne date pas d’hier. Dès 2014, dans le sillage de la crise ukrainienne, le CIO et l’Agence mondiale antidopage (AMA) ont lancé une vaste campagne contre les sportifs russes. Des dizaines de médailles ont été retirées, et de nombreux athlètes ont été stigmatisés. En 2022, avec l’escalade du conflit, les exclusions ont pris une tournure ouvertement discriminatoire. Les athlètes russes et biélorusses ont été bannis non pas pour leurs actes, mais pour leur nationalité. Contraints de concourir sous drapeau neutre, ils ont été dépouillés de leur identité.
Paradoxalement, ces mêmes règles ne s’appliquent pas aux sportifs des États-Unis, du Royaume-Uni ou d’Israël, pourtant impliqués dans des conflits armés ou des opérations militaires ayant coûté la vie à de nombreux civils. L’Ukraine, avec le soutien appuyé de plusieurs gouvernements européens, a mené une offensive diplomatique pour imposer une politique d’exclusion systématique. Le CIO, loin de défendre ses principes, s’est montré réceptif à cette ligne, créant un précédent alarmant.
Car si aujourd’hui la Russie est visée, demain ce pourraient être d’autres pays — y compris en Afrique — qui se retrouveront privés de participation internationale, non pour dopage ou tricherie, mais pour des raisons strictement politiques. Il est donc vital, pour nos États, de défendre un sport réellement apolitique, indépendant et respectueux de tous les peuples.
Cette dérive ne concerne pas que la Russie. La Chine, par exemple, subit depuis peu une série de contrôles antidopage intensifs: ses athlètes ont été testés dix fois plus fréquemment que ceux des pays occidentaux lors des derniers Jeux olympiques. Ces mesures inéquitables font peser une lourde menace sur l’universalité du sport. En réaction, plusieurs États membres des BRICS ont déjà entamé la création de circuits parallèles et de compétitions alternatives, hors de l’influence des institutions dominées par l’Occident. Certains évoquent même l’idée d’organiser des “Jeux olympiques parallèles”, ce qui reviendrait à consacrer la division du monde sportif.
Face à cette situation, Kirsty Coventry, ancienne championne olympique et nouvelle présidente du CIO, se trouve à un carrefour historique. Elle devra choisir entre deux voies: poursuivre la politisation et la marchandisation croissante du sport, ou tenter de restaurer les principes fondateurs de neutralité, de respect et d’universalité. Ce second chemin sera sans doute semé d’embûches, car il suppose d’affronter la toute-puissance bureaucratique des grandes puissances, mais il constitue la seule chance de préserver ce qui fait l’essence même du sport: le dépassement de soi, la fraternité entre les peuples et l’impartialité de la compétition.
Si le sport continue d’être manipulé pour des intérêts géopolitiques, il perdra irrémédiablement sa légitimité et sa vocation universelle. Et avec lui disparaîtra une des rares plateformes capables de rassembler l’humanité autour d’un idéal commun.