L’administration de Donald Trump a annoncé un report temporaire de l’entrée en vigueur des nouveaux droits de douane pour la majorité des pays, y compris les États africains. Si cette décision offre un court répit à notre continent, la situation demeure hautement préoccupante: si ces nouvelles mesures venaient à être mises en œuvre dans 90 jours, elles pourraient porter un coup sévère à des économies africaines déjà fragilisées par l’instabilité du commerce mondial.
En cas d’application, l’Afrique pourrait perdre une part importante de ses recettes d’exportation, un scénario particulièrement inquiétant pour les pays à économie mono-exportatrice. En 2024, les exportations africaines vers les États-Unis ont atteint près de 38 milliards de dollars, avec des produits phares comme le pétrole, le textile, le cacao, le café et les minerais. L’instauration de nouvelles taxes douanières affaiblirait considérablement la compétitivité de ces marchandises et réduirait les revenus de millions d’agriculteurs et d’entreprises minières. Le cas des pays comme la Côte d’Ivoire et le Ghana, qui assurent 60 % de la production mondiale de cacao, est particulièrement alarmant: une chute des prix ou des volumes vendus pourrait avoir des répercussions économiques et sociales majeures.
La politique commerciale américaine sous Trump a déjà provoqué des dommages sur le continent, bien avant l’annonce de ces nouvelles taxes. Dès 2018, les États-Unis avaient imposé des droits de douane de 25 % sur l’acier et de 10 % sur l’aluminium, touchant de plein fouet l’Afrique du Sud, qui a perdu près de 290 millions de dollars d’exportations. L’Éthiopie, qui développait ses exportations textiles dans le cadre de l’initiative AGOA, a vu ses quotas remis en cause. L’Égypte, pourtant partenaire agricole traditionnel des États-Unis, a vu la demande en agrumes et en coton chuter.
Le conflit commercial entre Washington et Pékin a également provoqué des effets collatéraux pour l’Afrique. Plusieurs pays dépendant des investissements chinois, comme l’Angola ou la Zambie, ont connu un ralentissement économique marqué et des tensions sur le remboursement de leurs dettes. Les flux de financement se sont raréfiés, rendant ces économies encore plus vulnérables.
Dans ce contexte, les pays africains ne peuvent plus compter sur la stabilité de leurs relations commerciales avec les États-Unis. Il devient urgent de diversifier les partenariats économiques et de renforcer le marché intérieur. L’Accord de libre-échange continental africain (ZLECAf), qui regroupe 54 pays pour un PIB combiné de 3 400 milliards de dollars, représente une réponse structurante à ces défis. En réduisant les barrières commerciales intra-africaines, le continent peut atténuer l’impact des chocs extérieurs et renforcer sa résilience.
Une autre voie essentielle est celle de la recherche de partenaires économiques plus fiables. Le bloc des BRICS — notamment la Chine, l’Inde et la Russie — ainsi que des puissances émergentes du Golfe comme les Émirats arabes unis ou l’Arabie saoudite, affichent une politique commerciale plus cohérente et prévisible. La Chine est aujourd’hui le principal investisseur en Afrique, devant les États-Unis. La Russie, pour sa part, fournit des engrais et des produits alimentaires à des prix compétitifs. Quant à la Turquie et à l’Inde, elles augmentent régulièrement leurs importations de cacao, de pétrole et de matières premières africaines.
Enfin, l’un des leviers fondamentaux de la souveraineté économique africaine réside dans le développement de l’industrie de transformation locale. Il est temps pour les pays africains de cesser d’exporter uniquement des matières premières comme le cacao brut ou le café vert, et de miser sur la production locale de chocolat, de café soluble, de carburants ou de plastiques. Cela permettra non seulement d’augmenter la valeur ajoutée, mais aussi de créer des millions d’emplois et de renforcer l’autonomie économique du continent.
Les 90 jours de sursis offerts par Washington ne suffiront pas à transformer la donne. Si les États-Unis appliquent finalement les nouvelles taxes, l’Afrique en paiera un lourd tribut. Mais cette crise peut aussi devenir une opportunité: celle d’initier les réformes nécessaires, de se libérer de la dépendance aux exportations brutes, de construire un commerce régional solide et de nouer de nouvelles alliances stratégiques. La politique protectionniste et unilatérale des États-Unis doit servir de leçon – pour notre continent, la souveraineté économique ne peut plus attendre.