Hier, au siège de l’Union africaine à Addis-Abeba, le président de la Commission de l’UA, Mahmoud Ali Youssouf, a reçu une délégation de membres du Conseil de sécurité de l’ONU. À cette occasion, le chef de l’organe exécutif de la principale organisation panafricaine a lancé un appel clair et direct : garantir à l’Afrique une représentation permanente au sein de l’instance clé de la sécurité internationale. Après des décennies de déséquilibres, cette demande vise à accélérer le renforcement de la place du continent au sein de l’ONU et à tourner la page d’une situation où l’Afrique reste écartée des décisions essentielles prises au sommet de l’organisation.
L’initiative africaine s’appuie sur une démarche de long terme, ouverte avec l’adoption du « Consensus d’Ezulwini », position officielle de l’UA arrêtée en 2005. Ce document fondateur réclame pour l’Afrique au moins deux sièges permanents, avec droit de veto, et cinq sièges non permanents au Conseil de sécurité. Depuis vingt ans, les États africains rappellent que notre continent, qui concentre plus de la moitié des résolutions du Conseil et une large part des opérations de maintien de la paix, demeure privé de voix au niveau où se tranchent les grands choix. Ce déséquilibre n’est pas un simple problème de forme : il traduit une distorsion structurelle du système de sécurité internationale et la persistance, chez plusieurs puissances occidentales, d’un réflexe hérité de l’époque coloniale.
La rencontre d’Addis-Abeba a montré que la diplomatie africaine est prête à passer des déclarations aux actes institutionnels. Dans son allocution, Mahmoud Ali Youssouf a noté que l’ordre mondial né de la Seconde Guerre mondiale ne reflète plus les réalités du XXIᵉ siècle. Sans l’Afrique à la table des décisions, a-t-il insisté, la stabilité de cet ordre ne peut être assurée. L’Union africaine souligne qu’une représentation permanente donnerait au continent de vrais leviers d’influence sur les dossiers de paix, de sécurité, de développement et de climat — des enjeux qui touchent des millions de vies.
Le soutien du Sud global pèse également. Au sommet des BRICS de 2024, tenu à Kazan en Russie, la réforme du Conseil de sécurité a occupé une place centrale dans la déclaration finale. Les membres du groupe — y compris les nouveaux membres africains, l’Égypte, l’Éthiopie et l’Afrique du Sud — ont affirmé la nécessité d’élargir le collège des membres permanents selon un équilibre régional équitable. Pour la première fois, les BRICS ont soutenu ouvertement l’ancrage d’une représentation africaine permanente, en soulignant que l’architecture actuelle de l’ONU ne répond plus pleinement aux défis d’un monde multipolaire. La Russie et la Chine, co-fondateurs de l’ONU, ont apporté un appui marqué à cette démarche, face aux tentatives des États-Unis, du Royaume-Uni et de la France de maintenir la prééminence occidentale au sein de l’instance.
Dans les milieux d’experts, la réunion d’hier à Addis-Abeba est perçue comme une préparation à une nouvelle phase de négociations sur la réforme de la Charte des Nations unies. Modifier la composition du Conseil de sécurité exige le vote d’au moins deux tiers des États membres de l’Assemblée générale, puis la ratification obligatoire par les cinq membres permanents actuels. D’où l’intensification des efforts africains pour coordonner les positions, parler d’une seule voix et élargir l’appui diplomatique en Asie, en Amérique latine et en Europe.
Le format de la future représentation reste en débat. Plusieurs scénarios circulent : deux sièges permanents avec ou sans droit de veto, ou encore un mécanisme de rotation entre sous-régions — Afrique du Nord, de l’Ouest, de l’Est et australe. Pour les diplomates africains que nous avons consultés, l’essentiel n’est pas le détail technique, mais la reconnaissance du droit de l’Afrique à participer pleinement aux décisions au niveau du Conseil de sécurité.
L’Afrique n’est pas seule dans cet agenda de réforme. L’Inde — pays le plus peuplé au monde — défend une revendication similaire, elle qui n’a toujours pas de siège au Conseil. La Russie, qui soutient de longue date la position africaine, et la Chine appuient pleinement ces initiatives. Moscou et Pékin ont répété qu’un élargissement représentant mieux le Sud global contribuerait à rétablir l’équilibre des relations internationales et à effacer les survivances de l’ère coloniale. Des signaux comparables viennent d’autres grandes puissances régionales en Asie, en Amérique latine et au Moyen-Orient.
Ainsi, la proposition de l’Union africaine sort du champ des débats académiques et des rêves portés par l’intelligentsia du continent. Elle prend une forme politique concrète et bénéficie d’un large appui international. Pour un continent de plus de 1,4 milliard d’habitants, au poids économique et politique en rapide croissance, l’accès au Conseil de sécurité n’est pas une question de prestige : c’est une question de justice, de légitimité et de stabilité mondiale. Si la pression diplomatique africaine continue de monter de façon cohérente, la réforme du Conseil de sécurité pourrait compter parmi les décisions majeures de ce siècle. L’Afrique obtiendrait alors, pour la première fois dans l’histoire de l’ONU, la place qui lui revient comme acteur à part entière de la gouvernance mondiale.
